(chronique publiée initialement sur mon site http://la-musique-bresilienne.fr )


Afro-Sambas est le fruit d’une rencontre. L’expression sonne comme un lieu commun d’attaché presse mais est bien la plus appropriée pour décrire cet album de 1966.


C’est d’abord la rencontre entre deux hommes, Vinícius de Moraes, qui chante et signe les paroles et le guitariste Baden Powell qui compose la musique. Bien accompagnés, les arrangements sont signés Guerra Peixe, compositeur renommé qui a introduit le dodécaphonisme au Brésil, et homme curieux qui a étudié les styles “régionaux” du Nordeste. Ils ont invités le groupe vocal Quarteto em Cy et quelques musiciens de premier plan en particulier le flutiste Copinha qui a joué avec tous les grands (João Gilberto, Candeia, Chico Buarque, Abel Ferreira, Cartola).


Afro-Sambas est également une rencontre entre deux générations. Vinícius de Moraes a alors 53 ans et une vie bien remplie. Il a été poète, dramaturge (Orpheu Negro) et ambassadeur à Los Angeles, Paris et Montevideo. Mais on le connait surtout comme l’immense parolier des plus grands morceaux de bossa nova mis en musique par Antônio Carlos Jobim (A garota de Ipanema, Insensatez, A Felicidade, Chega de Saudade). En musique comme en amour, il aime s’entourer de partenaires plus jeunes que lui. Son favori est à l’époque Baden Powell. Ce guitariste virtuose est aussi à l’aise dans le jazz, la musique classique, le choro et la samba. Il n’a certes pas 30 ans mais déjà près d’une dizaine d’albums à son actif. A peine moins cosmopolite que son ainé, il a aussi joué en France et en Allemagne, où il a notamment enregistré Le monde musical de Baden Powell qui a rencontré un grand succès. Son histoire avec l’Europe fait qu’il y est d’ailleurs peut-être plus célèbre qu’au Brésil.


Afro-Sambas est ensuite la rencontre entre deux époques. Les morceaux ont été composés en 1962 mais ne sont enregistrés qu’en janvier 1966. Entre ces deux dates, un coup d’État militaire à renversé la démocratie brésilienne. Le romantisme introverti de la bossa nova a vécu. Les musiciens brésiliens s’orientent vers une musique plus politisée et ouverte sur les musiques dites “traditionnelles”, en témoignent les spectacles Opinião et Rosa de Ouro où la fine fleur de la bossa nova joue avec Clementina de Jesus, Ze Keti, Paulinho da Viola ou João do Vale. Afro-Sambas, comme son nom le laisse deviner, s’inscrit dans ce même mouvement de retour aux sources.


Afro-Sambas est donc aussi la rencontre entre deux mondes, Rio de Janeiro et Salvador da Bahia ; le Brésil blanc et le Brésil noir. Elle a pour point de départ un disque de musique de Bahia comprenant chants de candomblé, samba de roda et toques de capoeira offert par Carlos Coqueijo à Vinicius. Conquis, il le fait découvrir à Baden Powell, qui va jusqu’à visiter Salvador pour en savoir plus.


Vinícius de Moraes et Baden Powell s’inspirent de ces musiques afro-bahianaises mais ne les parodient pas. Ils les font plutôt dialoguer avec leurs propres références. Vinícius de Moraes n’écrit ainsi pas les paroles en yoruba, la langue africaine utilisée dans les chants du candomblé, mais bien en portugais. Athée, il ne se préoccupe guère de théologie, mais invoque les orixas Iemanja, Exu ou Xango pour parler des problèmes humains.


Baden Powell s’inspire des rythmes et mélodies bahianaise mais avec une démarche personnelle. Les chœurs féminins par exemple font le lien entre les chants afro-brésiliens et grégoriens qui le passionnent. Ils sont assurés par les chanteuses du Quarteto em Cy, originaires de Bahia, mais blanches et non adeptes du candomblé. Côté instruments, on remarque la présence des tambours sacrés atabaques et des afoxés et des agôgôs, joués aux côtés d’instruments séculiers d’origine européenne (flûte, saxophone, guitare…). La démarche des afro-sambas n’est donc en rien traditionaliste ou régionaliste mais contemporaine et ouverte sur le monde. Elle confère à la musique de Bahia une dimension sinon plus universelle, comme l’affirme Vinicius dans les notes du disque, du moins plus accessible, pour les Brésiliens non bahianais et le monde entier avec. Ce travail n’est pas sans rappeler celui de João Gilberto, Vinicius et Jobim avec la samba et qui avait donné naissance à la bossa nova.


Os Afro-Sambas est enfin une rencontre bien arrosée. Les deux amis s’enferment pendant trois mois dans un appartement de Rio de Janeiro pour composer, et s’occuper par la même occasion d’une caisse de whisky (importée par Vinicius par valise diplomatique!). Le premier né de ces réunions est le classique Berimbau sorti dans la foulée mais non inclus dans le disque. Les autres titres sont enregistrés dans ce qui ressemble plus à des fêtes qu’à de studieuses sessions de studio. Eux-même un peu ivres, ils sont entourés de nombreux amis, femmes et fiancés qui se greffent spontanément aux chœurs. Alors certes, l’enregistrement n’est pas d’une perfection technique (ce qui fera que Baden Powell le réenregistrera en 1999), mais dégage une chaleur et une intensité uniques.


Les afro-sambas ne sont pas les premières à s’inspirer des traditions noires du Brésil. Pixinguinha avait introduit les premiers instruments afro-brésiliens dans le choro, et des sambistes comme Heitor de Prazeres ou Ataulfo Alves ont enregistré des macumbas. Mais en revanche, c’est peut-être la première fois que cette démarche vient de musiciens blancs, ce qui fera dire non sans raison à Vinicius de Moraes qu’il est le “Blanc le plus noir du Brésil“. En témoigne les disques actuels de Metá Metá, le dialogue libre et décomplexé avec les racines afro-brésiliennes des afro-sambas reste 50 ans plus tard toujours aussi fécond.

Boebis
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le 11 août 2021

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