Sans ligne directrice claire, cet album est déconcertant. Le foisonnement des références participe aussi à cet effet kaléidoscopique de Paradigmes. C'est à la fois réjouissant et troublant. On passe de Gainsbourg à Téléphone puis on rejoint Plastic Bertrand, FAUVE, Etienne Daho, Acid Arab, les Rita Mitsouko, MGMT ou encore Ennio Morricone. Tout cela en 15 titres. Eclectisme.
Côté nouveautés positives :
- Les nouvelles chanteuses se greffent parfaitement à l'univers de Got
et Magnée même si la voix douce et légèrement nasillarde de Clémence
Quellenec manque un peu. - A l'instar de l'iconique Où va le monde ?, des fulgurances sont toujours
présentes avec une captation de l'époque encore très juste : "Pendant
la nuit, les paradigmes s'effacent, les masques tombent pour célébrer
le néant et la folie." Ode à des soirées clandestines et/ou à la fin
prochaine de la pandémie mondiale qui laissera place à l'insouciance
et à de nouvelles années folles ? - La présence nouvelle des cuivres est canon.
- Les références intello tournées en dérision sont très
drôles. Je pense notamment à Sacha en Michel Foucault qui cite la
réalité pascalienne...
Dans le détail, plusieurs titres sont très réussis. Cool Colorado représente la chanson la plus aboutie de l'album. On embarque dans une décapotable à travers les paysages ruraux, désertiques et montagneux. Une chanson à inscrire dans les playlists "road trip". Une balade qui rend hommage à l'Amérique éternelle, au Far West et à la liberté. Un refrain très simple mais entêtant. C'est une véritable réussite. Dans un autre style, le single Paradigme est lui aussi flamboyant avec une entrée en matière éclatante dans un cabaret où trompettes et trombones claquent. Une ode à l'enivrement, au lâcher-prise, à l'hédonisme et à la créativité. Le titre Foutre le bordel sort aussi du lot avec une chanson qui dépote, conçue spécialement pour les concerts. Dans la lignée d'Antitaxi, ça risque "d'être sale" dans la fosse lorsqu'elle sera jouée dans les Zéniths de France et de Navarre. La chanson sonne comme un bon vieux morceau de Téléphone avec aussi une coloration Plastic Bertrand et son fameux "Ca planne pour moi".
Avec Lâcher de chevaux, nouveau contre-pied, nouvel univers. Ici, Ennio Morricone s'est clairement fait hacker par Sacha et Marlon. C'est très réussi. On cavale à cheval dans Monument Valley. On est des cowboys, on est des indiens, on est des bisons. A écouter lors d'un footing pour se motiver !
Passadena se dévoile comme un hymne nostalgique qui nous transporte immédiatement dans la cour du collège. Une chanson également cousine germaine de Septembre sur le précédent album Mystère. Cette fois-ci, cela n'évoque pas le stress de la rentrée des classes mais plutôt les premiers émois amoureux de l'adolescence et les premières ruptures, annoncées à la récré, lors de la pause entre le cours d'Arts Plastiques et celui de Français. Titre réussi même si le plagiat de FAUVE est proche. Force & Respect possède lui des influences musicales d'Afrique du Nord avec des tonalités rappelant Acid Arab. Mi danse du ventre, mi point levé pour capter la Force. Avec le titre Va, on reste encore au Maghreb. Il s'agit d'une balade tranquille à dos de dromadaire dans un décor désertique qui invite à la méditation et à la reconnexion à la nature. C'est alors que nous croisons la Divine Créature, un titre ouvertement gainsbourien, Sacha Got a les mêmes intonations que l'homme à la tête de chou. Un titre conçu pour faire l'amour ou au moins pour des préliminaires enflammées. C'est Ulysse qui veut écouter les sirènes, oh divine créature.
Disconnexion est un titre kaléidoscopique à lui tout seul avec ce génial "je je je" initial qui reste dans la tête. Génial aussi, le clown fou au bandjo qui répond à la tirade de Michel Foucault chez Pivot. Univers déroutant, décadent, psychédélique. Avec un clip qui rappelle ceux du deuxième album de MGMT. "Okay, alright". L'album termine sur un Tu t'en lasses apaisant, proche de l'univers d'Etienne Daho.
Côté points négatifs, quelques titres fonctionnent moins bien. Je pense à Mon ami ou au Sang de mon prochain, assez lugubre, ambiance Tim Burton, avec un clin d'oeil à France Gall et les sucettes à l'anis de Gainsbourg. Nouvelle-Orléans est également un titre qui ne sort pas vraiment du lot avec une écriture automatique peu réjouissante. Dans la séquence road-trip, ma préférence va largement à Cool Colorado. Foreigner est enfin un peu hors-sujet. Même si c'est volontaire, le titre parodique au fort accent français n'apporte pas grand chose à l'album.
En conclusion, malgré quelques titres un peu fades, l'album confirme la place importante qu'occupe La Femme sur la scène française depuis 10 ans. Le groupe garde ses fulgurances, ne déçoit pas et demeure à l'avant-garde musicale. Sacha Got et Marlon Magnée sont encore l'avenir de la chanson française. Hâte de les retrouver en concert pour assister à leur bordel scénique loufoque et jouissif, où les masques tomberont enfin.