Né le jour de l’été 1961 à Paris 15ème, Manuel Chao aime le foot et la musique. Chez lui, on parle espagnol. Son père (Ramon Chao) est un journaliste qui côtoie les réfugiés opposants aux dictatures d’Amérique du Sud . A Boulogne Billancourt, puis à Sèvres, le jeune Chao, épingle le Che dans sa chambre, oscille entre ses deux passions, écoute Elvis Presley, Ray Charles, Chuck Berry…et puis les Clash.
Les Clash en concert, la révélation qui le poussera en 1980 à mettre le premier doigt dans l’engrenage en fondant Joint de Culasse (groupe où on trouve déjà son cousin-batteur Santi) qui carbure au punk-rock et à l’énergie renouvelable qui va avec. Concerts, rencontres, influences… La scène rock indépendante française n’a pas encore fait son coming-out, mais s’y prépare sauvagement. Quelques influences latines dans les musiques, exit les Joints de Cul’, salut les Hot Pants (« chauds dessous » pas chics pour deux sous), qui tournent, tournent, tournent…Plus de 300 concerts (généralement aux côtés de la clique émergente… Chihuahua, Négresses Vertes, Béruriers Noirs, Garçons Bouchers, Rita Mitsouko…) et un skeud en 1987, « Loco Mosquito » (moustique fou !) le bien nommé, qui a pour seul intérêt de servir d’étalon, de point zéro aux futures évolutions (grâce à ce disque, on pourra constater à quelle vitesse un groupe peut s ‘améliorer en peu de temps !) . Split .
Puis une nouvelle expérience avec Los Carayos (sorte de folk-world-rockabilly où l’on retrouve Manu aux côtés notamment de François Hadji-Lazaro, leader des Garçons Bouchers et fondateur des mythiques Boucherie Productions, emblématiques de la scène indépendante de l’époque).
En parallèle à Los Carayos, Manu Chao veut mettre un rêve à exécution : « faire un groupe extraordinaire ; que l’on n’ait pas besoin de répéter ou de se regarder ». Une sorte de communion musicale instinctive, sentimentale et évolutive. Manu-Mano. Une main noire surgit d’une BD de Autheman et Rousseau. 1987. Manu, chanteur, auteur, compositeur réunit ses guerilleros dans un squat de Sèvres. Son frère Antonio (alias Tonyo del Borneo, trompette), le fidèle Santi (Santiago Caseriego, batterie), Daniel Jamet (guitare), Jo Dahan (basse), Philippe "Garrancito" Teboul (percussions) et Thomas Darnal (claviers) mettent ensemble la main droite dans le cambouis et la plaquent sur le mur .
E viva la Mano Negra !
Farouchement attaché à la notion d’indépendance, le combo signe son premier album chez Boucherie Production.
Plus qu’un disque : un paquet de dynamite dont l’explosion bienfaitrice viendra déboucher nos oreilles encore ankylosées par le frimas des eighties.
D’entrée, la messe est dite : l’éponyme morceau Mano Negra prélevé dans la clameur d’une foule surexcitée annonce en quelques secondes la couleur : celle de cette improbable émulsion où rock, funk, reggae, salsa, raï, ska, rap, java cohabitent en français, anglais, espagnol, arabe dans une sorte d’harmonie désordonnée, de folie envoûtante, géniale et inexorablement attirante. A ce cocktail festif détonnant, la Mano a donné un nom : la Patchanka.
« La Patchanka nos espera, La Patchanka is the wild sound ».
Entêtants ces rythmes effrénés venant de partout, qui s’entrechoquent, tantôt portés par les cuivres, tantôt par les percus, tantôt par le chant, les cris ou l’électricité. Fabuleux ces passages hispanisants, sur le thème du mal de vivre, d’une rare intensité, euphorisante (Mala Vida, quelle chanson ! Et Indios de Barcelona, quelle fête !) ou poignante (Salga la luna, quel frisson !). Imparables ces rockabilly-rap-rengaines (Rock Island Line, Killin’rats), ces chansons réalistes à la sauce énergique ( la Ventura) ou ces ballades dépouillées (Takin’ it up). Beaucoup d’humour aussi (Noche de accion) .
Bref, tout est là, dès ce premier album absolument incontournable qui fera une entrée fracassante à l’époque, avec pour toute publicité des prestations scéniques totalement débridées, pleines de sueur, d’engagement, de pogo et de délire inorganisé…
Remember, Fête de l’Huma 89, en première partie des Stray Cats ! Même les moins nostalgiques d’entre nous auront une petite larme qui coulera en en y repensant, pas vrai ?