A sa sortie, cet album (PG3 ou "Melt", appelez-le comme vous voulez) a eu un gros impact sur nous, fans de Peter Gabriel depuis les fantaisies en robe et masque de renard de Foxtrot, et dont la trajectoire solo était jusque là aussi brillante (Solsbury Hill, Here Comes The Flood) qu'erratique (un PG2 quasiment totalement raté). Cet troisième album solo réussissait en effet à être en même temps commercial et expérimental, et restait profondément fidèle au mouvement progressif dont Gabriel était issu (musicalement, un titre comme le bouleversant Family Snapshot pourrait être à sa place au milieu de Selling England By The Pound) tout en intégrant l'héritage de ce qu'on appelle aujourd'hui le post-punk, avec des guitares rares mais furibardes et tranchantes.
Terriblement sombre et malaisant (à l'image de la sublime introduction de Intruder, un titre qui fait littéralement peur), PG3 fait usage de tous les derniers développement technologiques de l'époque pour bouleverser le confort de l'auditeur et l'entraîner dans un labyrinthe angoissant et pourtant souvent sublime. Car le Gabriel de 1980 a encore l'inspiration nécessaire pour doter chacun des 10 titres de mélodies accrocheuses, il ne s'est pas encore englouti dans la complexité infernale de la musique qu'il a dans la tête et échoue à traduire sur disque.
Mieux encore, cet album est politiquement engagé, voire enragé, Gabriel parlant d'une voix forte contre la violence du monde (Games Without Frontiers, ce chef d'œuvre pop décalé), contre l'oppression (Biko, têtu et obsédant) et contre le racisme et l'exclusion (Not One Of Us).
Il est aussi intéressant a posteriori de rapprocher - ce que nous n'avions pas fait à l'époque - le travail de Gabriel de celui de Bowie dans son Scary Monsters, avec d'indiscutables ressemblances dans la démarche créatrice comme dans le résultat, qui a des années d'avance sur ce que font leurs contemporains. Et puis, un titre comme Start ne pourrait-il pas être inclus sans choquer personne sur Low ou Heroes du Thin White Duke ?
Réécouter PG3 en 2024 est une sacrée claque, au fur et à mesure que nos sensations de l'époque nous reviennent à l'esprit, et si certains aspects de la production de Steve Lillywhite ont vieilli, comme le traitement des batteries, très daté, il s'agit finalement d'un album qui, s'il sortait aujourd'hui, serait tout autant qualifié de futuriste et d'audacieux qu'à l'époque.
Et le plus fort, c'est qu'après ce somment, Gabriel allait encore faire mieux avec PG4. Mais c'est une autre histoire...
[Critique écrite en 2024]