Il existe plein d'orchestrations des Tableaux d'une exposition. Néanmoins, si l'on considère l'histoire de leurs représentations, il n'existe qu'une seule orchestration, et c'est celle de Ravel. Pourtant était-ce une conclusion nécessaire? La vision colorée, monumentale, berliozienne à outrance du basque n'aura-t-elle pas obnubilé les interprétations à venir? Beaucoup d'interprètes de l'œuvre pianistique originale auront renforcé cette idée. Qu'on pense par exemple à la brutalité apocalyptique que déployait Richter dans Bydlo, les excursions délirantes de Maria Yudina dans Le vieux château, ou encore aux envolées satiesques de Katchen dans le Marché de Limoges. Les Tableaux semblaient devoir devenir l'apanage des flamboyants et des matraqueurs.
Byron Janis est tout l'inverse. Il nous offre un Moussorgsky d'une délicatesse et d'une intériorité étonnante. Si l'on peut préférer la démarche extravertie des maitres slaves susmentionnés et reprocher un certain manque de punch aux pages les plus bagarreuses, la lecture de Janis est pleine de charme et de clarté élégante, plus proche peut-être de l'esprit d'un Borodine.
Mais la vraie surprise vient de l'interprétation de Dorati... alors là, oubliez tout ce que vous croyez savoir sur l'orchestration de Ravel, tant on est loin des versions ronflantes à-la-karajan. C'est peut-être dû la sonorité un peu grêle de l'orchestre dont il dispose, mais ce Ravel-là a un son qu'on qualifiera, selon son gout, de délicieusement dépouillé ou de franchement cheap... Toujours est-il qu'avec ce matériau pas franchement gratifiant, Dorati crée des Tableaux jamais entendus, pleins d'une énergie toujours surprenante, jamais emphatiques, modestes et secs mais enflammés par une urgence qu'on peut bien qualifier d'expressionniste. C'est presqu'une relecture de l'œuvre en tant que concerto pour orchestre de chambre qu'il livre. Plus que la monumentalité de l'orchestration de Ravel, c'est la folie larvée et l'urgence manique de Moussorgsky que Dorati met à l'honneur. Et si l'on peut préférer des versions plus traditionnelles, celle-ci en tout cas est une des plus inattendues et ne peut pas laisser indifférent.
Si on ne peut pas vraiment dire que les deux interprétations combinées ici donnent dans le même registre, elles s'unissent en tout cas parfaitement dans la surprise qu'elles proposent. Elles se rejoignent dans leur forte personnalité.