De la faille originelle au boson de Higgs
La physique d'Aristote n'est pas une lecture de loisir: c'est aride, c'est décousu, c'est parfois contradictoire (quoique de tous les grands traités d'Aristote ce soit un des plus cohérents), et surtout extrêmement compliqué à interpréter. Une chose est sûre néanmoins, il s'agit là d'une des œuvres cardinales de la littératures occidentale, point final.
De nos jours, on aime bien rappeler à quel point les intuitions d'Aristote étaient grossières et erronées. On aime lui faire le reproche de son opposition au concept d'atome, d'infini, d'héliocentrisme et grosso modo d'avoir été le géniteur de la terrible bouillie scolastique qui, pendant les infortunés dix siècles d'âges obscurs que nous avons eus, pauvres européens, à endurer, se faisait passer pour de la science. Aristote a rejeté Démocrite et l'atomisme d'Abdère, il pensait que tout se composait de quatre éléments, que l'air montait et que la pierre tombait parce que le haut et le bas respectivement sont leur lieu naturel, que les étoiles sont des divinités collées sur une voûte éthérée et plein d'autre non-sens. Et c'est vrai, Aristote pensait tout cela et bien d'autres choses encore qui semblent absurdes à nos yeux. Face à de belles intuitions comme l'atomisme antique, il fait bien souvent figure d'atroce rabat-joie.
Son style n'y est pas pour peu: il est laborieux, répétitif, lourd et hésitant et la Physique est bien souvent chiante comme la mort pour peu qu'on n'entre pas dedans. Prenons par comparaison Platon, qui reste le chouchou des lecteurs casu de philosophie pour son style est brillant, poétique et pour tout dire génial. Ses dialogues sont des chef-d'œuvres de mise en scène philosophique qui restent à ce jour inégalé. Cela tient à ce qu'on a conservé d'Aristote bien sûr, mais celui qui vous dira qu'il lit ses œuvres pour se délasser dans le bain est un baratineur avéré.
Alors pourquoi est-ce que la Physique d'Aristote fait partie de ces quelques 10, 20 plus grands textes jamais écrits en occident , au coté de l'Odyssée, des méditations cartésiennes et du nouveau testament (sans polémiquer sur l'appartenance ou non de la culture sémitique à l'occident)?
Tout simplement parce qu'on peut argumenter qu'il s'agit là du texte fondateur de la physique en tant que science, le fondation pure et simple d'une science qui a pour objet la nature, la première réflexion systématiques sur les principes d'une science des choses en devenir.
Platon, on le sait bien, niait que l'on puisse faire une science du devenir. Seul ce qui est éternel, les formes, les essences, peut être objet de connaissance. Le devenir, le temporel, n'est objet que de croyance, d'opinion. Les philosophes dits présocratiques ont bien réfléchi sur la nature, mais soit pour en souligner le caractère infiniment fluide et changeant (Démocrite, Héraclite) ou immuable (Empédocle, Parménide). Dans un cas comme dans l'autre, et c'est le point de départ d'Aristote, on ne peut pas faire de science de la nature. Et c'est là son coup de génie, qui devrait encore maintenant nous saisir par son audace, poser la simple question; comment peut-on faire une science du devenir? Si le devenir est, il doit être possible d'en dégager les principes. Telle était sa foi qu'il n'était pas d'objet qui ne puisse être pensé par l'esprit humain, et c'est sur cette foi qu'il a fondé ce qui serait pendant des siècles la science physique.
Alors, il est vrai: ses théories sont éculées, dépassées, fausses même, disons-le, mais ce qui demeure de manière incontestable c'est que le premier il a pris la nature à bras le corps pour la sommer de se rendre aux lois de l'entendement humain, aux règles de la science. Ce n'est pas encore autre chose que nous tentons de faire à ce jour et pour ça son geste initial reste un des plus importants gestes fondateurs de la pensée humaine.