Con, brillant, brouillon, évident. Les adjectifs contradictoires pour qualifier l’œuvre des Happy Mondays ne manquent pas. Ce qui explique pourquoi ils laissent plus d’une personne sur le carreau, au point de paraître comme une sorte d’arnaque pour leurs détracteurs ou comme un miracle de béatitude pour leurs admirateurs. Une absence de consensus qui en fait toujours une bande sous-estimée notamment en dehors de leur Angleterre natale.


L’apanage des grands groupes, c’est de ne justement pas laisser indifférents. Donc quand on observe les diverses réactions que cette troupe de shootés provoque, on peut légitiment penser qu’elle en fait partie ! Pills 'n' Thrills and Bellyaches en est la preuve formelle. Car si vous deviez conserver qu’une poignée de disques de la mouvance madchester (et du début des années 1990, tant qu’à faire), celui-ci doit IMPÉRATIVEMENT être dans le lot.


En l’espace de deux albums, ils n’ont pas seulement dessiné les contours de cette scène baggy au nom aussi ridicule qu’autant peu descriptif de la musique (puisque ça fait référence aux pantalons baggy que portaient les musiciens), ils ont su pondre une musique unique tout en faisant n’importe quoi ! Les bonnes fées du destin se sont penchées sur eux dès le départ et cela ne s’arrête pas ici. Après avoir été encadrés par deux producteurs de renom, c’est au tour de Paul Oakenfold d’assumer la dure tâche d’enregistrer convenablement les délires de ces Britons aux préoccupations philosophiques intenses (les nanas et la drogue pour résumer brièvement).


Bummed était remarquable malgré sa production difficile, cependant ces "Pilules, frissons et maux de ventre" (tout un programme) le surpassent en tout point. Les arrangements électroniques sont plus nombreux mais discrets. Ils ne dénaturent à aucun moment l’aspect rock des Mondays. Le son est également cette fois-ci plus clair, même si l’aspect psychédélique des riffs n’a pas disparu. Particulièrement remarquable sur « Grandbag's Funeral » qui est le morceau le plus proche de leurs premières années avec un Shaun Ryder notamment âpre. Évoquons sa voix à ce propos. Shaun n’est pas un bon chanteur et il ne le sera jamais. Toutefois il possède une gouaille indescriptible. Faisant sonner le faux comme du juste au point qu’on se demande comment un bonhomme chantant aussi mal peut avoir autant de charisme. Il déclame toujours ses paroles, mais sa façon de le faire a évolué de manière tellement positive qu’on ne peut qu’accepter cette particularité dans une telle musique.


On en arrive à ce qui nous intéresse principalement et qui a fait un bond en avant depuis leurs débuts : le songwriting. Contrairement à ses prédécesseurs, l’aspect "jam sous acide" est laissé de côté et cela donne un disque rempli ras la tronche de chansons inoubliables. « Kinky Afro » ouvre le bal de manière magistrale au point que son statut de tube n’est absolument pas usurpé. La guitare de Mark Day accomplie des merveilles pendant que Shaun Ryder balance des paroles hallucinantes. Des textes tellement idiots qu’ils sont à la limite de la métaphore poétique. C’est dire à quel point ce branleur était bon.


Ce qui suivra ne sera qu’une série d’hymnes hédonistes qui aura raison de vous. Entre leur clavier eurodance (la conclusion de « God's Cop »), les interventions de la chanteuse soul Rowetta (« Bob's Yer Uncle », « Loose Fit ») et une orgie de guitares psychédéliques à la beauté exsangue (le bien nommé « Harmony »), les Happy Mondays nous contaminent avec leur nonchalance cool. Même la reprise d’un vieux hit de John Kongos (« Step On ») est tellement réussie qu’elle donne la sensation d’avoir été écrite par le groupe !


Pills 'n' Thrills and Bellyaches est une pièce maîtresse dont la valeur est renforcée par le fait qu’elle ne connaîtra en aucun cas de suite. Que ce soit de la part de ses créateurs ou d’autres (seule la première sortie de Kasabian s’en rapprochera sans atteindre la même qualité). Elle reste l’œuvre de canailles dont l’objectif était de se ressourcer dans l’ancien psychédélisme des 60s pour le mêler à la house émergente de leur temps tout en affirmant leur tempérament rock & roll. En renforçant encore plus l’héritage mélodique (donc pop) de ces racines, cela donnera la britpop (Oasis n’a d’ailleurs jamais caché son admiration pour ces rigolos). Ce qui appuie cette idée que la vague baggy / madchester était le pendant positif du rock de cette époque.


Alors que la mélancolie bruitiste du shoegaze vient à peine d’émerger (le Nowhere de Ride sort la même année) et avant que la furie noire du grunge ne se déverse sur le monde, le grand public découvre ce gang de blancs becs faisant danser ses fans sur un rock flirtant aussi bien avec l’amateurisme qu’avec le fun et le groove… Et qui possède un gars dont la seule utilité est de danser sur scène tout en secouant des maracas jaunes (le dénommé Bez) !


En 1990, l’Angleterre danse sur les ruines de la guerre froide dans une insouciance que le rock ne retrouvera pas à ce point par la suite.


Chronique consultable sur Forces Parallèles.

Seijitsu
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le 13 nov. 2015

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