En 2005 pas grand monde en réalité ne donnait encore cher de la peau de Depeche Mode. Les jeunes pensent que « Personal Jesus » est un morceau de Marilyn Manson, et les plus vieux pensent que malgré toutes les épreuves endurées le groupe est au bord de l’implosion. Pourquoi? Tout d’abord parce que le dernier album en date « Exciter » a beau avoir été une réussite tant sur le plan critique que musicale il a été victime d’une réception assez tiède de la part de l’ensemble des fans. Et ensuite, parce que Dave Gahan la voix du groupe (et de votre âme si vous êtes aussi fans que moi) s’est finalement émancipé en solo avec un album plutôt sympathique et contenant même un ou deux grand morceaux (« Dirty sticky floor » et « Stay » notamment)! Du coup, le dilemme est assez simple pour Martin Gore : accepter de ne plus être le grand gourou de Depeche Mode et que son chanteur ait enfin une plus grande importance au niveau de la composition, ou bien……mettre fin à Depeche Mode.
Evidemment la bonne réponse était de ne pas mettre fin à Depeche Mode. D’une part, parce que ça aurait été débile et fort dommage puisque Dave Gahan a prouvé qu’il était compétent en tant qu’artiste à part entière et pas seulement en tant que showman/chanteur hors-norme. Et d’autre part, parce que le groupe étant béni par Dieu en personne cela aurait déclenché un cataclysme terrestre si le groupe s’était arrêté…et pour ceux qui pensent que c’est mon fanatisme qui me fait dire des âneries je vous rappelle que tel Job dans la bible le groupe a encaissé mille tourments dans les années 90 et a tout de même su continuer là où 98% des groupes auraient lâché l’affaire, sans parler de la résurrection miraculeuse de son chanteur (qui comme par hasard ressemblait à Jésus avec sa barbiche et ses cheveux longs)!
Mais que le groupe ait été la proie du malin durant un temps ou non il faut bien admettre que jamais cela n’a altéré la qualité de composition des artistes… « Violator » : Dave Gahan envisage le divorce et subit quelques crises existentielles qui l’amèneront à prendre de la drogue = chef d’oeuvre. « Songs of faith and devotion » : Martin Gore et sa bande sont en train de partir en cacahuète = chef d’oeuvre. « Ultra » : Dave Gahan tente désespérément de décrocher avec la dope = chef d’oeuvre. Et dans le cas présent, c’est le retour à une musique sombre et torturée et un état d’esprit assez peu positif de la part de Martin Gore (divorce, alcoolisme…) qui font que le groupe aspire encore une fois ce qui semble le fragiliser pour produire si ce n’est un chef d’oeuvre…un grand album de Depeche Mode! Une fois encore le groupe prend le contre-pied total de ce qu’il a fait sur le disque précédent, donc d’entrée de jeu : BOOOOOM des bruits de sirènes cacophoniques de prime abord viennent nous sauter à la poire et aux tympans si tôt qu’on appui sur « play » pour lancer le disque!
« A pain that i’m used to » est une tuerie…un très grand morceau qui vous laisse à genoux et le regard béat d’admiration pour ce groupe déployant une telle force herculéenne d’entrée de jeu. Les bruits de sirènes plutôt agressifs laissent la place à des cavalcades subtiles et fougueuses sur un tempo moyennement rapide mais toujours au bord de la tension. Les quelques notes de guitare recherchées de Martin et le chant bien en place de Dave succèdent de façon régulière à des refrains monstrueux : la machine s’accélère d’un seul coup, les synthés deviennent grésillants et agressifs et les voix couplées de Dave et Martin emportent tout sur leur passage tel un ouragan avant que la sirène tonitruante revienne nous frapper de toute sa force! Bon…avec un chef d’oeuvre pareil autant vous dire que ça commence fort! Et ben…le pire c’est que ça continue avec un « John the revelator » sacrément costaud! Cet espèce de blues/rock rappelant presque les grandes heures de « Songs of faith and devotion » aux solos de guitares véhémentes où Dave Gahan livre un chant survolté et sidérant sur une rythmique durcie par les synthés crasseux qui caractérisent décidément tout l’album est un chef d’oeuvre de plus.
En fait, les cinq premiers morceaux du disque sont monstrueux…que cela soit par la suite « Suffer well » plein d’ironie mordante (« bien souffrir »), « The sinner in me » (sur le thème quasiment éprouvé du péché…), et le tube pop en or « Precious » grâce auquel le disque s’est bien vendu. « Suffer well » sera un single au riff de guitare accrocheur et aux refrains aériens ainsi que le premier succès à la composition pour Dave Gahan. Il y aura à compter de ce jour un quota de trois morceaux par album où Dave Gahan sera le compositeur, les deux autres morceaux ici sont « I want it all » (sorte de ballade légèrement psychédélique un peu mollassonne à mon goût mais pas désagréable) et le sombre et dévastateur « Nothing’s impossible ». Le petit problème qui peut empêcher d’apprécier le disque à sa juste valeur c’est peut-être justement de commencer fort avec cinq morceaux à l’efficacité redoutable et d’enchaîner ensuite sur des morceaux tous quasiment « lents » au niveau du rythme. Mais attention « lent » ne veux pas dire inintéressant : les deux morceaux chantés par Martin sont par exemple très bons…surtout « Damaged people » qui synthétise assez bien le thème général de l’album : la souffrance et la douleur de la condition humaine sur une mélodie poignante fichant vraiment des frissons.
Ce qui caractérise l’album ici c’est essentiellement la tonalité industrielle et volontairement bruitiste de l’album et des synthés…sur des morceaux rocks et lancinants tels que « The sinner in me » ou « Nothing’s impossible » (au chant déshumanisé et lointain). Ce côté très sombre et industriel du disque est toutefois régulièrement interrompu par quelques perles pop : « Lilian » vers la fin de l’album à la mélodie fraîche et sympathique, et surtout « Precious » (traitant du divorce, chose qu’ont expérimenté les deux têtes pensantes du groupe) à la mélodie unique et aux refrains émouvants, lumineux, et triomphants.
L’album se vendra bien…et sera un véritable succès critique et commercial pour le groupe, la tournée qui suivra sera également excellente (le « live in milan » reste un des meilleurs de leur carrière). Depeche Mode a donc trouvé ici un parfait équilibre entre les compos généralement géniales de Martin et la bonne volonté d’un Dave désireux d’apporter sa contribution qui est ici quasiment salutaire étant donné que deux des sommets du disque sont signés par lui (« Suffer well » et « Nothing’s impossible »). Ses seuls petits défauts qui lui empêchent d’être absolument parfait sont cette petite rupture rythmique (post-precious) qui donne l’impression que la seconde moitié du disque est moins bonne que la première alors que pas forcément, ainsi que quelques petites lenteurs sur « I want it all » et surtout « The darkest star » concluant le disque mais dont le final est tout à fait grandiose et justifie presque ses 6 minutes légèrement poussives… Je pourrais également râler du fait que « Martyr » un excellent single composé à cette époque n’ait sois disant pas pu être intégré au disque à cause d’un problème de « cohérence » mais bon…ça serait chercher la petite bébête comme on dit…
Depeche Mode a donc réalisé un quasi-chef d’oeuvre qui reste pour l’instant (je trouve) leur meilleur album du 21ème siècle et un grand album capable de se hisser sans soucis dans le top 5 de leurs meilleurs albums. Puisque le groupe a brillamment réussi à revenir sur le devant de la scène et à montrer aux vieux de la vieille comme aux jeunes qu’il était bel et bien vivant et en grande forme, reste à savoir si « Sounds of the universe » sorti 4 ans plus tard va ou non démentir cet état de fait…