On dit que c’est le dernier.
Le dernier né, le dernier à naître du dernier survivant d’une génération pas comme les autres.
Auprès de ses Stooges péniblement réunis, l’Iguane inonde à bout de forces le monde du résidu de son énergie punk, de sa transcendance passée, encore un peu là, incarnation de son propre souvenir, une idée faîte homme. On ne compte plus les étiquettes, les idéaux placardés au dos de celui qui, d’échecs commerciaux en débâcles psychiatriques, survit à ce monde haïssable contre toute attente, contre tous et surtout contre lui-même. L’autodestruction avortée comme un art de vivre.
Que reste-il alors d’Iggy Pop ?
Une image insupportable, un fardeau, trop lourde à porter. Les attentes d’une époque désenchantée empilées une à une sur le dos d’un camé qui n’en demandait pas tant.
Tu as voulu t’en délester, Iggy, bazarder au clou ce punk naissant et déjà mort à tes yeux, refiler le bébé aux jeunes loups. Mais ils n’avaient pas les épaules. Ils ont plié, fléchi, faibles hommes. Puis tout s’est éteint et les regards se sont tournés vers toi, un fantôme. Ils ont dit : « c’est lui ». Et ce fut toi. Ils en voulaient toujours plus. Plus de rock, plus de drogue, plus de dates, plus d’albums, plus de déballages de queue en public, plus d’automutilation, plus que tu n’en pouvais supporter.
Putain d’image.
Collée aux basques. Impossible, seul, de la fourguer aux rebuts.
Bowie est venu. Il a changé la donne. Au moins pour un temps. Il a sauvé l’homme et corrompu l’image, offert un bol d’air salvateur à l’être en perdition. Mais ce temps fut bref.
Un nouvel idéal était né, un Pop Bowien et Berlinois tatoué sur la peau pour la postérité à présent et voilà qu’ils en redemandent, qu’ils reveulent du Bowie chez Iggy, redéfinissent leur idole, traquent la moindre réminiscence de cet âge béni dans chaque nouvelle production.
Écarts, expérimentations, insanités et fulgurances géniales, rien n’y fera. La foule carnivore veut du passé conjugué au présent. Enfonce la tête du messie sous l’eau. Il a survécu à ça.
Que reste-il alors d’Iggy Pop ?
Une révérence.
Un adieu.
A nouveau, l’Iguane s’entoure et se sauve par l’autre. Josh Homme, au faîte de son inspiration artistique, multipliant les projets sans faiblesse apparente, Josh Homme traumatisé, bouleversé, en quête d’une autre page. L’analogie berlinoise crève les yeux et affole les espoirs des carnassiers.
Il n’en est pourtant rien. Car si Post Pop Depression suscite la mélancolie et le souvenir ému de la première échappée solitaire d’Iggy, il n’est en rien le pastiche tant espéré par cette masse invasive dont le nez ne frétille qu’à l’odeur rance de grenier poussiéreux.
Post Pop Depression est un retour à l’homme. Iggy Pop, plus vivant que jamais. Sur tous les fronts, croquant la vie et la musique à pleines dents, plus vieux mais fort d’une expérience de vie à laquelle peu peuvent prétendre. Il fourre tout ça, en vrac, il susurre, il s’énerve, il s’apaise, il berce, caresse et puis bouleverse. Pendant que Josh, l’artisan, modèle ce sac de nœuds pour en faire un miracle de cohérence et d’homogénéité, comme il l’a toujours fait depuis ses précieuses Songs For The Deaf, cet art qui n’appartient qu’à lui de changer un bourbier de riffs et bafouilles de studios en un disque essentiel.
L’hommage au passé est subtil, mesuré. Impossible d’ignorer ce background mais rien n’empêche de le travailler en douceur, ce que Josh fait avec la pudeur de circonstance, mêlant patiemment, en orfèvre, ses obsessions à celles de son ami.
Iggy ne révolutionne pas la musique, il l’a déjà fait une fois c’est bien assez pour un seul homme. Mais, pour la deuxième fois, il se met à nu en musique et réapparait, en chair, en os et en folie douce.
Que reste-il alors d’Iggy Pop ?
Un sursaut aussi inattendu que salutaire. Et un regard nouveau sur une vie, plus que sur une carrière.