Comme une évidence,
Nous revoilà en train de fredonner les derniers airs en date DU groupe.
Le seul.
L'unique.
En 2020, soit près de cinquante ans après sa formation.
En réalité ce n'était qu'une question de temps car depuis la fuite à la fin de l'été 2018 de photos montrant nos vieux briscards en pleine pause clope à Vancouver, nul doute n'était désormais possible.
Finie la poisse, les tracas judiciaires et autres soucis de santé car quand on fait un pacte avec le Diable, lui aussi se doit de remplir sa part du marché.
Alors POUF, une cuillérée de prothèse auditive révolutionnaire, un soupçon de retour dans le droit chemin et une pincée de cartons remplis de tubes à enregistrer et le tour est vite joué.
Bon en échange on se bouffe une pandémie mondiale mais sans se mentir, ça valait le coup, non ?
Parce qu'entre nous, je prends le riff de Shot in the Dark à la place de n'importe quel vaccin, surtout si le seul effet secondaire c'est de se mettre à secouer la tête pendant trois minutes.
Trois minutes de plaisir que nous ont faire dire en octobre dernier "Ca y est, c'est reparti !" car la machine n'est jamais morte, parfois faut-il simplement donner un bon coup dedans pour qu'elle redémarre.
Je serais d'avis de prescrire à tous les cardiaques un walkman qui relierait leur cœur à Power Up car il serait tout aussi efficace qu'un défibrillateur, voire plus.
Et au moment où Pépé s'apprêterait à rejoindre Mémé dans le tunnel de lumière, Malcolm Young le retiendrait par la cheville : "J'en n'ai pas fini avec toi, l'ancêtre", et BIM
The moment you realize
Those moments just pass you by
Serait-ce la voix d'un ange ? Non, celle d'un angelot, accompagné d'un riff endiablé !
Brian Johnson est bien présent ce n'est pas un rêve, et il n'a rien perdu. Tout au plus son handicap lui permet désormais de ne plus entendre certaines conneries que l'on a pu dire à son sujet.
Ce n'était donc pas un accident. La banane que les fans du monde entier avaient d'une oreille à l'autre en octobre était justifiée. Difficile alors de se contenir.
Riff, check.
Voix, check.
Jusqu'ici tout va bien, le groupe semble "Mais c'est toujours la même chose !!"
Mais...
Mais ce sont ces arguments qui n'ont pas changé depuis cinquante ans, pas la musique !
AC/DC fonctionne pour deux raisons : d'abord parce que c'est toujours la même chose et ensuite parce que ce n'est jamais la même chose.
Après la découverte, il y a toujours la redécouverte.
Dans chaque album peut se présenter à l'oreille qui sait y prêter attention des pépites avec lesquelles la formation australienne jongle entre les genres et les sous-genres du rock. Et à côté il y a bien sûr une recette de grand-père qui fonctionne mais toujours avec des variétés infinies. La musique d'AC/DC est simple ? Peut-être... Simpliste ? Jamais !
Le groupe parvient en réalité à faire de chacun de ses albums une pièce unique et Power Up n'échappe pas à la règle.
D'autant plus que ce petit dernier porte en lui la marque du deuil.
Si Back in Black rendait hommage à Bon Scott sous forme d'un glas tout droit venu des tréfonds de l'Enfer pour saluer la perte inattendue d'un chanteur/auteur qui semblait irremplaçable, tout en marquant la fin d'une époque et le début d'une autre, Power Up salue Malcolm Young sous la forme d'une fête, d'un festival de hard-rock des plus ravageurs.
Et si la voix de Bon Scott ne pouvait apparaître sur Back in Black, c'est bien le rythme reconnaissable entre mille des deux frères Young que l'on entend de la première à la dernière seconde, avec l'aide du neveu Stevie qui démontre une nouvelle fois que le rock est une histoire de famille.
Ne laissant place à nulle lamentation, Power Up est d'une logique, d'une cohérence implacable : si la musique, et donc l'âme de Malcolm ont survécu, alors AC/DC survivra. Et cela se ressent dès les premiers instants de Realize.
Cette ouverture, cette "renaissance" nous donnerait presque l'impression que rien ne s'est produit ces cinq dernières années et je pense que c'était l'intention.
Commence alors un album qui tient les promesses de son titre : c'est rapide, énergique et d'une fraicheur à faire pâlir n'importe quel autre groupe actuel. Après l'hymne des retrouvailles qu'est donc Realize s'enchainent Rejection, dans laquelle nos grands romantiques parviennent à exprimer avec une rare subtilité (soulignée par le délicat touché de Phil Rudd) les travers du désir amoureux...
If you reject me, I take what I want
Disrespect me and you get burned
Best Keep me satisfied or you know i'll eat you alive
...puis Shot in the Dark qui derrière son ouverture à la Stiff Upper Lip revisitée, délivre un coup de poing de blues rock qui n'est pas sans rappeler un certain Chuck Berry.
Arrive ensuite Through the Mist of Time, où l'hommage à Malcolm Young est à peine caché dans un morceau que l'on dirait tout droit sorti d'un album de rock alternatif du début des années 2000.
See dark shadows on the walls
See the pictures, some hang some fall
Entre ses chœurs mélancoliques et une performance habitée de Brian Johnson, ce titre (qui n'est pas sans rappeler Anything Goes ou Rock n' Roll Dream, les deux meilleures pistes de Black Ice) marque un "temps d'arrêt" ou plutôt de contemplation (quoi ?) quant aux années passées…
Mais chaque morceau durant trois minutes en moyenne, l'avenir ne met pas longtemps à revenir à la charge.
Se suivent alors Kick You When You're Down, au refrain surprenant et savoureux et surtout Witch's Spell, conte de hard-rock au ballet de guitares d'une efficacité redoutable et véritable coup de cœur de cette première face.
Jusqu'ici tout va toujours bien, mais ce qui fait plaisir avec AC/DC c'est que même lorsque tout semble aller bien, ça ne peut que s'améliorer.
Commence alors une face B où s'enchainent dans un rythme plus soutenu des titres que l'on jugerait tout droit sortis des années 80. Une impression en grande partie donnée par une production des plus propres et directes, qui se démarque du son plus et saturé de Rock Or Bust.
Demon Fire et son pogo déjà visible au loin (si le diable le veut bien), Wild Reputation qui est sans doute le pic de cette deuxième partie, No Man's Land puis Systems Down, l'album avance et c'est le plaisir de se retrouver et de rejouer qui s'y dégage.
Les Young sont plus jeunes que jamais, Cliff Williams et Phil Rudd eux n'avait pas été prévenus de l'arrêt de l'enregistrement en 2014 ont été retrouvés en train de jouer à leur place dans le studio et c'est tant mieux. Brian Johnson, dans une joie incommensurable, se permet des écarts inédits ici et là. Tout cela ajouté aux originalités diverses et variées (oui...) dans les constructions font de Power Up une œuvre (re-oui.....) à part entière dans la discographie du groupe.
Et si la fin de l'album n'est peut-être pas à la hauteur du parcours entrepris jusqu'ici, avec Money Shot et Code Red qui dans les choix apparaissent comme une conclusion un peu brouillonne, le mal est déjà fait et c'est tant mieux.
Parce que lorsque Brian Johnson vient nous susurrer au début d'un morceau sur deux sa poésie avec sa voix éraillée de grand-père du blues au plus près de nos oreilles, ça ne peut faire qu'un bien fou.
AC/DC est assurément l'un des groupes qui a le mieux compris son temps, qui sait ce qu'il est et ce qu'il n'est pas et qui musicalement de donne pas au public ce qu'il veut entendre, mais ce dont il a besoin. Sachez simplement où vous mettez les pieds, car c'est sans aucun cynisme et en toute humilité que le groupe parvient à remettre les pendules à l'heure et il le fait comme à chaque fois sans grande surprise, si l'on y réfléchit.
Chaque sortie d'album est désormais (et d'aucuns diraient naturellement) suivie des habituels mots d'étonnements et autres remarques en tout genre, qui tendent vers la moquerie de l'âge supposé avancé des membres du groupe. Des commentaires qui font en réalité office d'exutoire, la longévité du groupe nous renvoyant à l'avancement de notre propre vie et à son inéluctable fin, mot que le groupe lui ne connaîtra en fait jamais.
Car il faut se rendre à l'évidence, ces messieurs seront là bien après nous.
Tout ce que l'on peut faire en attendant, c'est appuyer sur replay.
Au moment où j'écris ces quelques mots, l'album est premier des ventes un peu partout et dépasse Vianney sur Amazon.
Il fallait ça pour rétablir l'équilibre dans la force et une fois de temps en temps ça ne fait pas de mal.
On se dit bien trop souvent "Pourvu que les gentils gagnent et que les méchants perdent".
Eh bien en cette fin d'année, les gentils ont gagné…
Jusqu'à la prochaine fois, où nous ne serons peut-être plus là.
Yeah, the painted ladies
...Et bonne année grand-père !