Alors que le soleil est à son zénith, nous découvrons, spectateurs, une cachette creusée naturellement au cœur d'une petite île située au large de l'Italie, sur l'Adriatique. Et c'est derrière un hydravion brillant d'un rouge éclatant que nous rencontrons notre personnage principal, qui a pour caractéristique d'être un homme prisonnier dans le corps d'un cochon.
Décidant de placer le récit de son sixième long-métrage dans la continuité de son précédent film « Kiki la petite sorcière », avec un personnage fantastique évoluant dans un monde semblable au notre et ce, dans un décor européen (ici bien définit dans l’espace et le temps), Hayao Miyazaki y insuffle pourtant une ambiance assez différente. Là où « Kiki » était un film toujours d'une grande délicatesse, portant son regard sur le quotidien d'une petite sorcière pour mieux faire ressortir les frustrations lors du passage à l'âge adulte et de l’intégration dans la société, « Porco Rosso » change de ton, illustrant cette fois-ci les dérives et la bêtise de l'être humain.
Un changement de ton tout d'abord perceptible de par son personnage principal. Pilote lors de la grande guerre et désormais chasseur de prime, Marco est buveur, fumeur et aussi cynique qu'il est pilote hors pair. Un personnage meurtri qui nous raconte dans un flash-back d'une grande mélancolie, comment, après une terrible bataille, il a assisté, flottant impuissant sur une mer de nuages éternelle, à la montée des aviateurs et de leurs épaves venant de tomber au combat, tous sans exception, vers une voie lactée d'appareils issus de tous les pays. Une scène d'une grande poésie du maître de l'animation nippone qui vient, dans l'une des séquences les plus émouvantes de sa filmographie, d'associer deux de ses thèmes les plus chers, l'aviation et son usage ainsi que l'absurdité de la guerre, poussant ainsi Marco à se transformer en cochon, l'animal le plus proche de l'être humain.
A la fois reflet de ses troubles intérieurs et d'une société perdant un à un ses repères, le visage porcin de Marco est un moyen pour Miyazaki de partager ses doutes quant à l'avenir de nos sociétés. Produit alors que débutaient les conflits en Europe de l'est au début des années 1990, « Porco Rosso » prend alors une dimension tragique, où les gouvernements qui se succèdent laissent place à la dictature qui prend de plus en plus d'ampleur dans la vie de tous les jours, où les hommes sont obligés de tout quitter pour trouver du travail et où les aviateurs prennent petit à petit conscience que leur idéal de vie et leur passion sont en train de vaciller.
Mais si « Porco Rosso » possède cette amertume, il porte surtout un regard d'espoir sur l'avenir et sur la jeunesse, incarnée par le personnage de Fio, jeune fille pétillante en quête d'aventure, qui bousculera le monde très fermé et masculin des pilotes d'hydravions. Un monde qui contraste avec celui des femmes, fortes et sages, prenant des décisions, étant souvent obligées d'effectuer le travail des hommes en leur absence mais arrivant à se faire respecter.
Une note positive que l'on peut additionner à la légèreté dont est imprégné le film. De par ses personnages, son humour, sa bande originale notamment rythmée par le piano très jazzy d'un Joe Hisaishi des plus inspirés, et ses séquences d'aviation magnifiquement animées, qu'il s'agisse d'un calme atterrissage devant un coucher de soleil ou d'une bataille féroce, « Porco Rosso » est un film faisant appel à nos sentiments, à l'enfant comme à l'adulte.
Et c'est sur une séquence finale d'une grande nostalgie que l'on se prend nous-même à s'imaginer survolant les îles de l’Adriatique, s'arrêtant à l’hôtel Adriano en chemin afin d'écouter « Le Temps des Cerises », verre de vin blanc à la main.
Une séquence laissant le sourire aux lèvres et les larmes aux yeux, Miyazaki signant ici son film le plus romantique.