Prosaic
7.4
Prosaic

Album de Mizmor (2023)

À chaque réveil, les mêmes pensées qui s’engouffrent en moi - laides, égoïstes, inconsistantes. À chaque pas, les mêmes gestes qui m’enrobent de leur morne onctuosité - ne sommes-nous pas des automates défiés par le temps? Et pourtant, j’aspire à tant de choses! Mes rêves sont profonds et fous! Et puis la vie continue doucement de foutre le camp.

Isolé depuis dix ans dans son labyrinthe mental, A.L.N. (Liam Neighbors) a su faire germer avec son projet solitaire Mizmor de renversantes causeries métaphysiques. Obsédés par le sens de l’existence, harassés par la dépression, les thèmes de Mizmor ont longtemps orbité autour de réflexions spirituelles - Liam ayant été un fervent chrétien jusqu’à son rejet très violent de la foi, et la recherche d’un nouvel Absolu qui s’en est suivi. Mais voilà qu’éclate ce Prosaïc qui ravale brutalement toute quête transcendantale, comme son nom en trompe-l’œil l’indique. Si A.L.N reste aussi intimement empêtré dans ses démons mentaux, et si sa plume est toujours trempée dans l’encre d’une même poésie funeste, quelque chose a changé.


"I know it is a cycle

Acceptance is my name"

Un besoin de simplicité, de dépouillement, voilà à quoi aspire Mizmor dans ces quatre titres écumants de fièvres. Flottant encore entre un écrasant sludge et un black atmosphérique courroucé, ponctué d’intenses éventrations funeral doom, Prosaïc tend vers une épure de fond comme de forme : les morceaux sont plus simplement structurés autour de mélodies belles (et tristes) à en crever (cette guitare de « Only an Expanse », ce pont acoustique de « No Place to Arrive »). La noirceur et les émotions suggérées par les titres sont plus frontales qu’auparavant (pas d’évasions drone ici) - « Only an Expanse » démarre sans concession, et il en va de même sur tout l’album : une efficacité redoutable. Même la place de l’incroyable voix d’A.L.N prend ici toute la force de ses tourments, nous guidant de mid-tempos sinistres en pernicieuses bousculades. Chaque titre possède ses humeurs et variations, dépeignant l’absurdité, la tristesse laborieuse ou la libération de l’Homme.


"Fear not this brief eternity

Choose to stay here with each breath

A constant waking from a dream

Shaking off the webs of sleep"

La pochette reflète en souvenirs xylographiques ces temps anciens où la valeur-travail fondait totalement l’humain - un mal ? un bien ? Mizmor s’interroge, s’offusque, suffoque, puis accepte - le titre final est une magnifique stèle purgative qui détruit les idoles et fustige les illusions - les derniers éclats saturés mettent enfin un terme au duel des émotions, constamment présent dans la musique de Mizmor : de la torpeur et de l’abattement total à la hargne pulsionnelle. Dans Prosaïc, le récital de lourdeur s’est amplifié, comme par l’influence d’un Thou avec qui Mizmor a signé un magnifique LP en 2022 (Myopia). C’est surtout par l’absence des grands élans épico-introspectifs de Yodh (2016) ou de Cairn (2019) que l’on ressent entièrement toute la pesanteur et la force du propos. Au-delà de tout cela, on retrouve le même spectre ravagé et passionné qui hante chaque album de Mizmor. Un spectre qui n’est que l’alter-ego d’A.L.N, son persécuteur et son rédempteur, et sans qui Mizmor ne serait pas l’incroyable témoin artistique d’un brillant génie écartelé par les folies de l’existence.


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Obscurmag
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le 18 févr. 2024

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