"Hey, you're just too funky for me..."
"Ils sont paaaartiiiis dans les couloirs du teeeemps !". 'Tain, une référence à George Michael pour le titre de la critique et une autre aux Visiteurs ensuite, je dois avouer que je me tire une balle dans le pied. Mais en même temps, le nom de l'album lui-même fait référence au passé. "Random Access Memories" est donc le quatrième opus de Daft Punk en seize ans, et il aura fallu en attendre huit pour pouvoir apprécier - ou pas - cette suite donnée à "Human After All". Oui, car figurez-vous qu'ils ont beau se déguiser en robots, ils sont humains eux aussi, après tout ! Et avec "R.A.M" (pour les intimes), de ce côté-là, pas de problème, on commence à piger le message : jamais la musique des rois de la French Touch n'aura paru aussi "humaine" (comprendre : authentique), avec cette volonté d'apporter la chaleur et la rondeur de vrais instruments, de se spécialiser dans un genre synonyme de nonchalance et de sensualité (le funk) et de faire appel à des featuring prestigieux et légendaires (Pharrell, Paul Williams de "Phantom of the Paradise"...). Bref, les fantômes cyborgisés de la Motown planent sur ce disque un tantinet mégalo (mais ils peuvent se le permettre), et c'est comme si les deux Terminator de l'electro avaient effectué un voyage dans le temps et se retrouvaient à une époque insouciante où ils n'auraient, à priori, pas grand chose à faire. Cette dualité, on la retrouve d'ailleurs sur la pochette, où les casques futuristes côtoient une écriture... manuelle.
Voilà pour le concept : revenir aux sources du funk en y incluant des plages electro. Pas inintéressant, je le concède, d'autant que la prise de risque est énorme pour un groupe de cette envergure : "Random Access Memories" marque en effet une véritable rupture avec les précédents travaux de Daft Punk, à tel point qu'ils semblent avoir presque totalement zappé l'essence même de ce qui faisait leur son sur "Homework" ou "Discovery". Je dis "presque" parce qu'il reste un élément reconnaissable entre mille : le vocoder. Pas suffisant, pourtant, pour les fans de la première heure, qui ont vraiment du mal à encaisser ce changement radical de style. Moi, ce n'est pas ce qui me gêne sur "R.A.M" (enfin, pas totalement) : le renouvellement, en musique, a été salvateur pour bien des groupes, qui ont tous perdus pléthore d'admirateurs lorsqu'il a fallu assumer ce choix... Pour en gagner d'autres.
Non, mon problème vient plutôt du fait que je n'ai jamais vraiment apprécié la disco et le funk. Je trouve que ce sont des genres qui tombent rapidement dans le kitsch et l'auto-parodie. Je ne nie pas que les sonorités peuvent être agréables, la basse bondissante, la guitare rythmée et tout ça, Earth Wind and Fire wouuuhouuu baby come on it’s saturday night, mais elles ne me procurent aucune émotion puissante. Pour moi, ça tourne vite en rond, et je reproche donc à "R.A.M" d'être aussi limité que le style qu'il parodie. Il y a quelques morceaux sympas : "Give life back to music", "Instant crush", "Lose yourself to dance", "Get lucky" (évidemment) ou "Fragments of time". Sympas, oui, mais absolument pas excitants : car la bonhomie du funk semble avoir rendu Daft Punk paresseux. Le duo casqué se repose trop sur son concept, sur cette idée de produire une œuvre complètement hors du temps, et en oublie d’exploiter à fond l'ambivalence homme / machine qu'ils défendent. Comme dit plus haut, l'aspect electro se résume la plupart du temps a du chant passé au vocoder, et j'ai comme l'impression qu’on était en droit d’espérer davantage de ce côté-là que cette vision réductrice et tiède d’eux-mêmes. Innovation à ma gauche, régression à ma droite : l’effet s’annule. Il aurait fallu, pour apprécier ce disque sur la longueur, qu’il soit beaucoup plus équilibré. La preuve, c’est que s’il y a bien un titre qui met tout le monde d’accord, c’est "Giorgio by Moroder" (le meilleur du lot, en effet), et c’est justement le seul qui peut se vanter de concilier parfaitement l’ancienne et la nouvelle identité de Daft Punk.
A part ça, essayez donc de jeter un œil au-delà du scintillement de la boule à facette, derrière le soleil couchant qui orne la magnifique pochette de « Get lucky », et il ne pourra pas vous échapper que l’album atteint rapidement ses limites avec ses mélodies trop répétitives, et qu’il aurait pu, en conséquence, être amputé de moitié sans que ce ne soit dérangeant. "The game of love", "Within", "Touch", "Doin’ it right", "Beyond" et surtout "Motherboard" ne parviennent pas à dissimuler un flagrant manque d’inspiration. Quant à "Contact", c’est marrant que tout le monde se paluche dessus, parce que c’est justement l’une des rares chansons qui rappelle le Daft Punk d’avant… Et qui, sur "Random Access Memories", fait presque figure d’OVNI ! Alors c’est comme si on était contents que les frenchy se soient fait plaisir sur ce disque, mais que dans l’intervalle, on soit pressés que la récré soit finie. Quoi qu’il en soit, il est clair qu’il y aura un avant et un après "R.A.M", et rares sont ceux qui, par la force des choses, ne se sentiront pas obligés de choisir leur camp.