Tell me that you Daft me more.
Un nouvel album, c’est toujours excitant. Une fois l’annonce faite, les fans trépignent d’impatience, ils se mettent à réecouter toute la discographie du groupe, débattant sur la ligne musicale que pourrait suivre le nouveau né, adoubant ou vomissant le single inédit sorti un mois auparavant, tentant de décrypter la moindre petite information parue sur le net, un streaming, un leek, un mot, une phrase, bref, n’importe quoi qui pourra les sortir de leur torpeur et leur permettra de jeter une oreille ou deux. Autant vous dire que quand il s’agit du groupe qui a révolutionné l’électro, qui n’a pas sorti d’album studio depuis 8 ans (si on met de côté la B.O de "Tron"), qui orchestre un plan comm/marketing à coups de teasers salivants comme on en a rarement vu pour un groupe français, inutile de préciser que l’on se transforme très vite en jeune pucelle qui aurait eu un coup de foudre. Oui, messieurs dames: Thomas Bangalter et Guy-Manuel de Homem Christo from Daft Punk viennent d’accoucher d’un 4ème disque. Et, comme d’habitude, ça part un peu dans tous les sens.
Ce qu’il y a d’étonnant avec ce groupe, c’est que même pas 2 semaines après la sortie de l’album, on semble déjà tout connaitre de ce dernier. Les réseaux sociaux n’arrangent évidemment rien à l’affaire: en effet, n’importe quel abruti de la Creuse cramant ses neurones devant les Anges de la Télé-Réalité, dont la protagoniste principale serait presque foutue de laisser l’empreinte de ses seins sur Hollywood Boulevard, bref, même le dernier-né de la dernière pluie peut donner son avis en 140 caractères, voir son message relayé, plébiscité, adulé, et faire ainsi le tour d’une France qui ne parvient pas à maitriser ses sentiments, déversant des kilomètres de haine verbale, sachant que cracher sur le dernier Daft Punk est devenu aussi commun que traiter Christine Boutin d’homophobe. Ou même l’autre France, d’une telle lèche que sa langue semble devenir râpeuse. Il s’agit là de la pire chose possible: il faut savoir prendre du recul sur un disque avant de pouvoir le vénérer ou le descendre.
Alors j’ai épuisé toutes ses ressources. Je l’ai écouté, reécouté, analysé, décortiqué, jusqu’à l’intestin grêle, afin de pondre cette putain de chronique, sachant déjà que Rock&Folk, les Inrocks, Rolling Stone, Technikart, et même le Figaro, le Monde, Libération, le Nouvel Obs, l’Express, bref, ont déjà tout écrit en long, en large et en travers. Et me voilà, moi, jeune homme possédant l’esprit de Baudelaire dissimulé dans le corps de Georges Clooney, j’arrive comme une merde. Pour dire quoi? Et bien que cet album est bon, parfois même excellent à certains endroits ("Contact", "Giorgio By Moroder"), touchant parfois au sublime ("Instant Cruch" et ce bon vieux Casablancas qui nous ferait presque chialer). La production est incroyable, les musiciens sont doués (des musiciens sur du Daft Punk, putain!) les invités se mettent au service de Tom et Guy-Man et non l’inverse, on surprend nos épaules et notre tête à bouger toutes seules ("Get Lucky"), on voyage durant la totalité de ces 74 minutes, parfois dans des ambiances planantes (et non chiantes) qui nous invitent à laisser la musique "venir à nous". Il y a de l’âme dans ces guitares funky, ces nappes de synthé et ce vocoder presque humanisé, ce qui est un comble. Ca donne le vertige parfois, on ne sait plus vraiment où on est, mais n’est ce pas là le but d’une chanson? Nous embarquer, nous prendre par les tripes, nous faire ressentir des émotions? Alors non, cet album n’est pas parfait. Certains titres manquent cruellement de relief ("The Game Of Love", "Fragments Of Time"), d’autres auraient pu ne jamais voir le jour ("Motherboad") sans que notre quotidien pourri ne soit bouleversé.
En fait, il suffit de comprendre le message véhiculé par les Daft sur ce "Random Access Memories". Le précédent sur "Human After All" était très pessimiste, critiquant d’une manière générale la société de l’époque, à travers notamment la télévision. Ici, c’est le contraire: tout est très solaire, réjouissant, mélancolique aussi parfois, mais jamais déprimant. Nos frenchies ont tout simplement voulu se faire plaisir, en rendant hommage aux musiques qu’ils ont tant aimé, qui les ont fait rêver, convoquant avec eux les parrains de certains genres, comme Nile Rodgers et Giorgio Moroder. On pourrait accuser le groupe de faire du réchauffé, il n’en est rien: la production est suffisamment actuelle et ne fait qu’embellir les 13 titres présents sur cette galette. Alors oui, ce n’est pas très électro, difficilement passable en club, franchement différent de ce qu’a pu faire Daft Punk. Mais cependant, vous réussiriez à comparer "Discovery" avec "Human After All"? Ces mecs qui approchent désormais la quarantaine (!) ont réussi un véritable tour de force: redonner un souffle, une vie à la dance music, en réalisant un véritable travail d’orfèvre, tout en se faisant plaisir et livrant un disque ambitieux et unique. Cocorico, bordel.
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