Comme pour rassurer les fanatiques de la première heure, ceux du Floyd, l'ouverture du disque (5 A.M) rassemble des éléments bien connus de Wish You Were Here : synthétiseur emphatique, guitare folk claire, appliquée, accords d'un lyrisme limpide, servant de support à un solo de Stratocaster à la fois lent, inspiré, planant, bluesy et progressif, transcendant au plus profond de lui-même cet auteur tourmenté à la voix et au chant révélateurs d'une fragilité écorchée.
De bonne facture, dotés de quelques fulgurances (l'instrumental And then), l'album est un peu terne, baigné d'une mélancolie que le vol des corbeaux présent sur la pochette du disque vient renforcer par son aspect indéniablement lugubre. Sans surprises, à l'instar de récentes sorties d'autres ténors du rock (Keith Richards en tête), l'album déçoit, même si, comme on dit dans le langage courant, "il se laisse écouter", ce qui ne veut rien dire. Mais bon, il ne faut pas cracher dans la soupe, tout cela aurait pu être bien pire. Il n'empêche... le pire n'est pas loin. Gilmour "fait du Gilmour", avec tout ce que ça suppose de complaisance, mais c'est aussi ce que l'on attend de lui. Il ne force pas, se contente de jouer, de chanter, ce qu'il fait très bien au demeurant. On apprend pas à un vieux singe à faire des grimaces. Et c'est ça le mal, car à l'y écouter de plus près, l'album n'aurait pas dépéri s'il ne s'était doté de quelques modernités musicales. Mais bon, qu'aurions-nous affirmé haut et fort si ce vieux bonhomme nous avait concocté un morceau disco-funk? Qu'il se serait trop éloigné des sentiers battus. Et nous l'aurions largement blâmé pour cela, car la perspective de nouveaux horizons, lointains, peut grandement insécuriser. Alors autant rester sur ce que l'on sait, sur ce que l'on connaît bien, au risque de se barder de certitudes. En réalité, nous ne savons pas ce que nous voulons, et le guitariste virtuose s'en moque éperdument. Gilmour lui, sait ce qu'il veut.
Grosse production, son d'une clarté absolue, chants et guitares impeccables. Ok, mais la somme de tous ces éléments ne fait pas un bon disque pour autant.
Et ce n'est pas Rattle that lock, basé sur le jingle SNCF qui est le moins bon des morceaux, bien au contraire. Pour écouter au mieux ce dernier, un exercice de la pensée est tout de même nécessaire : il faut se décentrer de tout ce que nous associons à l'entreprise publique bien connue de tous. Une fois ce petit travail effectué, il est possible de reconnaître un certain pouvoir pop, voire groovy, à ce jingle qui donnerait presque raison au guitariste. Et une fois la piste mise en boucle à l'envie, indéfiniment, oui, il y a un groove bien funky qui nous fait saisir, nous autres guitaristes, notre guitare, pour improviser. Finalement, à l'y écouter de plus près, ce morceau est très bien construit, les chœurs féminins rappellent évidemment l'optimisme de The dark side of the moon, et les solos de guitare pourraient très bien être issues de quelques overdubs de « money ».
C'est la suite qui fait tâche en fait.
"Faces of stones" a quelque chose de grand-guignolesque et brinquebalant, malgré un petit solo qui rappelle ceux « d'On a island », ...et puis c'est tout. C'est à dire très peu. Quelques notes de piano ne font pas un morceau, « A boat lies waiting » est là pour le prouver. En quatre chansons, on a quand même la douloureuse impression de se faire c... pour rester poli, ce que « Dancing right in front of me » confirme. Le chant très haut de Gilmour paraît trop forcé, et semble manquer de fond et d'honnêteté. Même les solos paraissent longs (« Dancing right in front of me », encore lui, décidément). Pire, l'homme n'y met pas la même hargne qu'avant, et lui-même semble s'y ennuyer autant qu'il nous ennuie. Sur un « In any tongue », sans saveur, on fait le constat que le rock est bien loin... parti comme un train qui file dans la nuit sans attendre le vieux brigand. Le chant de Gilmour est plein d'emphase, terre-à-terre, triste. Doux jésus, serait-ce de la variété anglaise ? Il est temps de revenir aux Sex Pistols.
A l'écoute de « Beauty », instrumental bien terne, il faut se rendre à l'évidence : Gilmour n'a plus grand chose à dire aujourd'hui. Tout juste a-t-il pu, à travers cet album, se rassurer en se disant qu'il pouvait encore sortir un disque, ou tout simplement se convaincre qu'il était encore en vie ...de peu. Le jazzy « The girl in the yellow dress » démontre surtout qu'il fait partie des vieux, ce qu'il a peut-être du mal à admettre, et qu'il y a bien plus excitant que lui aujourd'hui.
Tout cela est bien triste, à l'image de la mélancolie abjecte du dégoulinant saxophone de « The Girl (...) ».
Les chants d'église et l'orgue qui ouvrent l'avant dernier morceau (« Today ») confirment l'idée que l'on se fait à mesure que l'on avance un peu plus dans l'écoute de ce disque : nous assistons là à un bel enterrement : d'errements musicaux (« Today » à ce côté disco que je craignais plus haut) en complaisances diverses et variées, un peu de musique sirupeuse et emphatique, des solos qui (hélas) ne font plus vibrer, et un chant de fantôme. Le constat est terrible et sans appel, mais bon, que voulez-vous, nous sommes en 2015, la relève est largement assurée dans le rock, il n'y a plus beaucoup de places pour des vieux grincheux comme le grand Gilmour, roi cramoisi, dinosaure décrépi qui fait partie intégrante des antiquités européennes, comme Mozart, et puis... il faut le dire, il y a beaucoup de bons petits qui ont pris la relève et qui sifflotent « Sympathy for the devil » comme si celui-ci n'étaient qu'un traditionnel anglais déjà très ancien. Essayez donc The Slaves, "Are you Satisfied?", petit bijou punk anglais sorti cette année...
Mais qu'on ne méprenne pas, je suis un grand fan du monsieur. D'ailleurs, je me suis bien rassuré en insérant The Wall dans le lecteur cd de ma voiture tout à l'heure, et "In the flesh" et "Empty Spaces" sont toujours aussi puissants. Ouf. C'est juste que je n'ai pas ce que j'étais venu chercher, voilà tout.
De la jeunesse, de la puissance, et un rock'n roll qui défie la mort : qui peut nous donner cela en 2015? Essayez donc le dernier Iron Maiden, c'est l'extase assurée.