La griffe du maître
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Fenêtre froide sur l'horizon strillée de troncs. Un immense manteau blanc m'enveloppe. Tout autour, l'air glacé semble prendre refuge et se solidifie, il se cristalise, et les copeaux de givres pénètrent en moi, gonflent mes capillaires d'une vie nouvelle, immaculée, gelée, pure. Oublié de toutes les perspectives mortelles, je suis cette ombre figée, grelotant dans un amoncellement de vide. Je suis aussi nu que la neige et je n'ai jamais été aussi présent.
Je pourrais louer la grandiloquence quatartique du duo Olhava pendant des lustres, m'étirer sur sa fougue aussi longuement que s'étirent leurs titres pétrifiés par une nature primordiale. Je pourrais essencer le mysticisme créationniste qui se distille dans leurs pochettes magnifiques, se glisse dans les pliures de guitares réverbérées à l'infi par des nuits secrètes et éloignées. Je pourrais également vanter l'emoi sucité par ces glapissements de renard qui transpersent si délicatement les barrières du temps. Je pourrais m'affoler devant la transe permanente de la batterie qui s'écoule en des affres de beat-blast.
Tout ça, ce talent minutieusement emmené avec un sens inné de la latence continue, je pourrais le faire reposer sur la seule sensibilité exacerbée de Reverb on Repeat, le penseur d'Olhava, et de son acolyte aux tambours Cliff Ruin - tous deux se connaissent bien, ils expriment la même douleur romantique avec leur autre groupe TRNA. Plus encore que de ressencer les forces épaisses de Olhava, je pourrais aller jusqu'à dire qu'ils redonnent au blackgaze toute sa pale beauté de jeunesse, qu'ils le lient avec la beauté immaculée de la nature mystifiée, créant une espèce de chimère hybride qu'on nomme par endroits le "woodgaze". La folie frêle des bois, retranscrite année après année depuis 2019, à travers la pépite Ladoga (2020) puis la catharsis suprême de Frozen Bloom (2021).
Je pourrais, je devrais même, dire que ce Reborn réunit l'épique lacrymal de ses grands frères tout en poussant encore davantage une fascination pour l'ambient music, pour les pas feutrés des synthétiseurs d'antan et des guitares suspendues dans une réflexivité typiquement drone. Entre la rage existentielle et l'élévation spirituelle, entre la hargne du crépuscule et le redoux de l'aurore, Reborn est un pont bâti avec fièvre entre des rives opposées, rejointes par une même pensée à la tristesse insondable. Long, lent, latent, poignant, déchirant ... je pourrais innonder la musique d'Olhava de bien compliments, mais elle est peut être trop timide, introvertie et frappante pour cela. Finalement, devant la réflexion en miroir, je préfère contempler une derrnière fois l'hospice des sous-bois, me sentir renaître entre la glace et l'écorce, et respirer une dernière fois les frimas de cette Russie sans âge ni sang haineux. Et que vive Olhava !
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Créée
le 16 sept. 2022
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