Dernier album des King Crimson au complet avant une dissolution partielle du groupe, Red se distingue par une ambiance lourde, pesante, virtuose et maîtrisée qui le rend tout simplement fascinant.
Que ce soit par le morceau introductif, Red, instrumental proche du heavy metal à la basse lourde et au rythme surpuissant, par le morceau "star" de l'album, Starless, long d'une douzaine de minutes, développant d'abord une ballade mélancolique, puis une montée crescendo de guitare, une extraordinaire session de jazz métal expérimentale, et un final hallucinant de violence, l'album est un pur chef-d'oeuvre de rock progressif. Innovant, travaillé comme une oeuvre d'orfèvrerie, il propose à chaque morceau des trouvailles qui ne laissent pas indifférentes. Red, ainsi, est un morceau référence pour le genre en devenir que sera le métal, mais avec des années d'avances.
Les caractéristiques de l'album sont impressionnantes. King Crimson cesse d'utiliser la guitare acoustique pour se concentrer sur une guitare overdumbée. Rober Fripp utilise cette technique de manière quasi systématique dans tous les morceaux et ce sera par la suite une des marques de fabrique du groupe de rock progressif. Red innove dans l'utilisation de mesures rythmiques différentes et alternées. Sur One More Red Nightmare est caractérisée par sa noirceur, l'usage audacieux de percussions, avec une grande utilisation de la cymbale par Bill Bruford. Starless, met en avant deux saxophones et un violon, dans un ensemble jazz génial, mais attention, pas un jazz mou et dansant, un jazz psychédélique et ultra violent, notamment lors d'un unisson saxo-basse-guitare reprenant un motif jazz classique mais en bien plus sonore. A cela s'ajoute un travail sur parfois une poignée de notes, avec des crescendo et des variantes lancinantes. De manière générale, l'album se distingue par ses qualités d'écriture remarquables.
Et puis il y a cette virtuosité. Le plus impressionnant étant pour moi John Wetton, qui fait des miracles à la basse. Il faut s'imaginer au milieu des années 70, loin du rock agressif et des morceaux métal portés par une saturation de basse et de guitare. Ici, Wetton semble véritablement frapper les cordes de son instrument, à s'en brûler la peau des doigts, et la basse dégage une puissance monstrueuse, colossale, enivrante. Je ne sais pas si on peut dire que King Crimson a inventé le métal mais il y a contribué, c'est certain, en gardant cependant l'élégance du rock progressif, le sens des montées crescendo, les ambiances travaillées et le souci d'expérimentations.
Album charnière du groupe, dans une époque charnière (The Dark Side of the Moon vient de sortir), on peut dire que Red c'est un symbole de l'apogée d'un genre progressif, un genre travaillé, presque intellectuel, très conceptuel, poussé dans la recherche extrême et caractérisé par des morceaux fleuves. Chez King Crimson, chaque note résonne, chaque mesure compte. Le hasard n'existe pas. Leur musique est millimétrée et absolument parfaite. Et, derrière l'apparente complexité de l'album résonne cette musique violente, mélancolique, à l'ambiance glaçante et magnifique :
Ice blue silver sky
Fades into grey
To a grey hope that oh years to be
Starless and bible black