Oh Orpheus, it's over too soon
Reflektor est doux, Reflektor est frais, mais Reflektor n'est vraiment pas accessible.
Parce que déjà, Reflektor se coupe en deux albums, d'une durée de plus de 35 minutes chacun, qu'il est à des années lumières du son auquel Arcade Fire nous avait habitués, qu'il est froid, presque dénué d'émotions directes et qu'il est très inégal. C'est une oeuvre qu'il faut apprendre à dompter, à creuser au fil du temps, donc impérativement à écouter plusieurs fois (sachant qu'il est sorti il y a seulement quelques jours, je doute qu'il ait déjà été entièrement découvert).
Depuis la sortie du single éponyme, on parle de James Murphy, de l'influence LCD Soundsystem évidente sur le titre fleuve de 7 minutes, irrésistiblement entraînante, gardant la formule franco-anglais qui avait fait le bonheur des anciens albums, avec en prime la participation de M. Bowie. Pourtant ça ne se ressent pas particulièrement sur la longueur; évidemment on baigne dans les touches electro, mais ça sonne beaucoup plus comme l'arrivée d'un nouveau groupe plutôt qu'une inspiration.
Alors évidemment le virage n'est pas à 180°, on retrouve certaines pistes qui rappellent le passé, avec en tête de file Afterlife, chanté par les voix synchronisées de Win Butler et Regine Chassagne, hymne rappelant par ses chœurs incessants Rebellion ou Wake Up, comme un hommage à Funeral. Here Comes The Night Time et Supersymmetry gardent elles aussi des cotés d'avant, une musique toujours chaleureuse sans être étouffante, une influence musique du monde qu'on retrouvait déjà sur Haïti notamment pour la première, et une ballade crescendo tout comme Windowsill pour la seconde.
On a quand même certaines pistes un peu inutiles, comme Flashbulb Eyes (qui a tout de même le mérite d'appuyer sur l'influence exotique du disque) ou Here Comes The Night Time II, qui sont sympathiques mais beaucoup trop légères que ce soit dans le propos ou dans la recherche instrumentale.
Dans les moments joyeux on pourra aussi citer l'énergique Normal Person, la pile Duracell toujours active, une perle beaucoup plus réussie que Month of May dans le même style rock'n'roll pur et dur. Mais ça s'arrête à peu près là.
Car Reflektor est froid. Dans ses rythmiques, dans ses instruments (fini l'accordéon, l'orgue et l'alto), dans ses paroles aussi (gros point faible de l'album, beaucoup trop répétitif, il n'y a qu'à prendre le refrain de You Already Know). Et ce n'est pas un reproche, au contraire, juste un constat. Le single l'avait déjà annoncé, la nostalgie/mélancolie ou tout ce que vous voulez s'est envolée, place à une atmosphère beaucoup plus glaçante, plus dure (Joan Of Arc m'a surtout laissé une impression de violence inexpliquée, peut-être par son propos et ses chants détonnés), plus adulte aussi. En cela on s'approche plus de Neon Bible, qui avait quitté le thème de l'enfance cher à Funeral, et le détachement de la vie adolescente en banlieue de The Suburbs. La musique est torturée, de Awful Sound (même avec sa fin beatlesienne) à Porno, on ressent une sorte de malsain, de dérangeant, et par la même façon quelque chose de fascinant. It's Never Over s'impose comme une danse du diable, servie par une guitare magnifique et des échos sortis tout droit des limbes, ce qui s'accorde très bien au thème principal de l'album qu'est le mythe d'Orphée et Eurydice, servi de plus par une des plus belles pochettes du groupe, tantôt grise, tantôt parsemée de couleurs chaudes, nouveau symbole de la dualité de l'oeuvre.
Pour résumer, Reflektor est loin d'être mauvais. Il s'est simplement tourné vers une direction différente, vers un concept totalement opposé. Il prouve cependant qu'Arcade Fire est un groupe majeur de notre génération, sachant se renouveler à chaque album et à garder le cap vers une musique intelligente, recherchée, sans lorgner sur ses acquis, et qui par la suite sera encore capable de produire de nouveaux chefs-d’œuvres avec leur propre son.