Deux chanteuses irlandaises, deux anciennes gloires des années 90, deux personnalités fortes, deux come-backs à quelques jours d’intervalle… Cela fait trop de coïncidences pour ne pas avoir envie de mettre en parallèle les nouveaux disques de Dolores O’Riordan (The Cranberries) et Sinead O’Connor. On a connu les deux femmes la langue bien pendue : la première a pris position contre l’avortement (via une chanson, « Icicle Melt » notamment), et s’est prononcée hors scène pour la peine de mort, sans que grand monde s’en émeuve. Alors que la seconde a de son côté fait scandale en déchirant la photo du Pape à la télé. Et on retrouve ce hiatus à l’issue de cette étude comparative : Roses de Cranberries impose son ton dans la discrétion, tandis que How About I Be Me and you Be you de Sinead O’Connor joue de l’artillerie désespérément lourde et tapageuse.
D’après Dolores O’Riordan, « après le troisième album, The Cranberries c’était du n’importe quoi ». On ne la contredira pas. Mais après une telle déclaration il fallait assurer. Ce que d’ailleurs les Cranberries ont réussi à faire, et contre toute attente, il faut bien le dire. De toute évidence, il ne fallait s’attendre à aucune révolution, le groupe a été, au mieux, un bon groupe de rock héroïque tendance cold (No Need to argue, To the Faithful Departed) et au pire un vendeur de soupe pop. Roses fait la part des choses et assume son statut de has-been : O’Riordan et ses compères n’ont certainement plus la rage ni l’énergie de leurs débuts, ils le savent. Mais ils ont encore en eux une part de la jolie mélancolie qui faisait le sel de leurs compositions d’antan. Sans parler de retour aux sources (chapitre auquel on a eu droit dans la presse, bien entendu), ils ont tout de même fait table rase de la naïveté embarrassante de leurs derniers albums et on leur en sait gré. On retrouve donc avec bonheur ces arpèges léchés, parfois grâcieux (le pont de « Fire & Soul » tout comme « Waiting in Walthamstow » et « Roses » sont superbes), et la voix mutine d’une O’Riordan qui reste sobre. On peut même dire qu’au gré d’un titre, un seul, « Schizophrenic Playboy », The Cranberries retrouve toute la puissance d’antan. On en vient à regretter qu’ils n’aient pas osé ressortir les distorsions qui ont lancé leur carrière avec l’excellent « Zombie »… Pour le reste on pourra toujours se plaindre de quelques niaiseries (« Show Me », « Astral Projection et « So Good » vont du nul au bof), mais globalement le pari est réussi et Roses s’écoute avec un plaisir non feint.
On ne pourra pas dire la même chose de How About I Be Me and you Be you, tentative particulièrement usante de pop-rock FM qui ratisse large, de la ballade folk au rock à guitares en passant par la curiosité country. Sinead O’Connor, on la connait surtout pour une reprise, « Nothing Compares 2 U », synthés aériens et beat de plomb. Ne cherchez pas un tel moment de beauté dans ce nouvel album, qui cherche visiblement à en mettre plein la vue pour pas un rond. Comprenez par « pas un rond » cette façon que l’irlandaise a de sombrer dans la facilité et de s’y vautrer complaisamment. Si ce ne sont les deux titres d’ouverture (« 4th & Vine », « Reason with Me ») qui laissent pourtant augurer le meilleur, le reste n’est que mélodies courues d’avance, incroyablement vides. À ce titre, « Old Lady », « The Wolf is Getting Married » et surtout « Queen of Denmark » sont des enclumes pop, le genre de chansons lourdes, au sens propre comme figuré, qui ne décollent jamais de leur petit programme qui semble avoir été écrit par un compositeur mercenaire. La voix de Sinead O’Connor, pourtant belle, en devient insupportable, à force de se débattre sur un océan de banalité. Un point quand même pour elle, pour avoir su nous éviter de terminer cet album dans le chaos qui le parcourt : le dépouillement de « V.I.P. » soulage les oreilles après tout ce vacarme sans nuances.
Les deux femmes, au-delà de ce qui les rapproche aujourd’hui (leur nationalité, leur statut, leur âge), ont abordé ce retour après un long silence comme elles ont choisi de faire part de leurs opinions personnelles auprès du public : l’une dans le tour de force et la démonstration, l’autre en catimini, mais avec conviction.