"Il vaut mieux partir dans une explosion de flammes que s'éteindre lentement, parce que la rouille n'attend pas". Depuis le suicide de Kurt Cobain, combien de fois Neil Young a-t-il dû regretter d'avoir écrit le manifeste punk ultime, le "My Generation" des 80's et des 90's à la fois ? Ce retour à la sauvagerie, ces guitares enfin véritablement monstrueuses, cette nudité dans l'émotion, le symbole de cet homme debout, la guitare à la main, allaient en effet montrer la voie pour les 20 ans qui allaient suivre…
On est déjà en 1979, et depuis la fin 1976, je suis passé à "autre chose". Plus question d'écouter "les vieux", les Stones, Led Zep, Pink Floyd, tous ces "dinosaures" que les Clash, les Pistols, les Stranglers, les Ramones et consorts ont rendu instantanément démodés. Je me suis coupé les cheveux, suis passé au cuir noir et aux t-shirts déchirés. La "new wave", rapidement devenu "cold wave", est arrivée là-dessus, et je ne jure plus que par Cure, Costello, les Buzzocks ou les Undertones. Le rock a pris un sacré coup de jeune, et on s'amuse comme on ne pensait pas possible de s'amuser un jour.
Bon, Neil Young, c'est autre chose (un peu comme Bowie, auquel je suis toujours fidèle), je sens bien qu'il y a quelque chose de retors et de méchant que j'aurais tort de balancer "avec l'eau du bain". Mais le dernier grand album Rock de Neil Young, c'est "Zuma", qui date de plus de trois ans, soit une éternité quand on a soi-même guère plus de vingt ans. Sauf que ce mois de juin-là, le Loner sort "Rust Never Sleeps", qui le ramène instantanément au cœur de la mêlée. Ou plutôt la deuxième face de la galette, la seule qui nous intéresse vraiment alors : 20 minutes parfaites, telluriques, corrosives, qui commencent par la sourde menace encore peu surprenante - mais superbe - de "Powderfinger", et se termine dans l'apothéose bruitiste de "Into the Black", LE morceau où Neil dévoile au monde son nouveau de son de guitare qu'il a peaufiné depuis une paire d'années, et qui va lui servir d'étendard pour renverser les murailles durant les décennies suivantes. Entre les deux, il y a la mauvaise blague cradingue de "Welfare Mothers" - a priori rescapée d'une session avec les allumés d'Akron, Devo - où Neil célèbre la vigueur sexuelle des mères de famille démunies (hein ?) ; il y aussi l'apocalyptique et ultra-jouissif "Sedan Delivery", le seul morceau de l'histoire de la musique où Crazy Horse joue (presque) vite. Bref, ces vingt minutes-là, chantées à la gloire d'Elvis et de Johnny Rotten, scellent pour moi un pacte d'amour qui n'a toujours pas été rompu en 2020.
"Rust Never Sleeps", bien sûr, ce n'est pas que ça. C'est un enregistrement live transformé en faux album studio, ce qui est un truc assez peu courant, finalement. Avec une première face acoustique qui se défend aussi à sa manière : à l'époque, c'était la première fois qu'on entendait "Pocahontas", et on avait bien aimé le plan avec Marlon Brando. Mais le reste, mis à part un "Thrasher" un peu informe - le seul titre faible de l'album - tenait bien la route. Et la tient toujours bien plus de quarante ans plus tard.
Bien sûr, ce qu'on ne savait pas en juin 1979, c'est que les choses allaient vite mal tourner pour Neil. Mais c'est une autre histoire...
[Critique écrite en 2020, sauf l'introduction à ce texte datant de 2001]