Shelter
6.4
Shelter

Album de Alcest (2014)

En 2012, Alcest devient l’un de ces groupes « à suivre » de la scène Metal, étant alors très acclamé à l’international, et même plus qu’en France, son propre pays. Les Voyages de l’Âme entérina définitivement cette position. Porté par le single « Autre Temps », qui devient pour beaucoup le tube du groupe dont on chante même les paroles en concert, le disque permet également aux Français de tourner une nouvelle fois aux Etats-Unis (avec Deafheaven) ainsi que dans le monde. Nombreux sont ceux qui voient alors le groupe comme le fer de lance d’une scène « post-Black Metal » dont on ne connaît pas trop la signification. Ou, du moins, fut-ce le cas jusqu’à l’album suivant. Celui qui, à sa sortie, fit dire à son créateur en interview qu’il n’y aurait sûrement plus de Metal pour Alcest. Sans être un nouveau départ définitif, Shelter marqua une rupture. À l’heure où l’on célèbre surtout les 10 ans d’Ecailles de Lune, il s’agit aujourd’hui de revenir sur un disque moins acclamé de la discographie du groupe.


Seul avec la mer de silence. « Shelter », pour refuge, d’abord comme une déclaration d’amour à la mer, à son vent qui vient caresser les joues lorsque, assis, les deux mains dans le sable, on regarde le soleil se coucher par-dessus l’eau. Pour capturer la musicalité de ces instants, la réverbération joue un rôle important. Ethérée, elle donne comme l’impression de tant de vagues venant s’échouer à nos pieds. La tête en arrière , on « s’abandonne », happés par le son d’un disque volontairement confortable, enregistré en Islande en compagnie de Birgir Jón Birgisson, ingénieur-son émérite de Sigur Rós. Et, véritablement, la justesse de la production est le premier fait marquant de l’opus. Le son est cristallin, et laisse de la place à chacun des instruments, aux orchestrations plus ou moins discrètes comme à l’éclat douillet des guitares.


Le voyage commence tout en couleurs, à l’image du clip de « Opale », avec ses premiers titres où les riffs sont tant de pigments transformant à la volée la plage en arc-en-ciel. Du Shoegaze, Alcest emprunte ici largement la part Dream Pop, l’album se faisant tout en tranquillité autant qu’en majesté. L’atmosphère est douce-amère, car derrière ces brises de sons apparaît une sorte de nostalgie. Des compositions délicates, subtilement Pop et chagrines à la Souvlaki, surviennent des sursauts plus contemplatifs à la Lush, par exemple. Retrouver Neil Halstead (Slowdive) sur le titre « Away », gentiment chamber-folk/pop, est ainsi presque logique. À ses côtés sur le disque, également, Billie Lindahl, chanteuse de Promise and the Monster, qui vient compléter les chœurs sur quelques titres, et rayonner sur le morceau-bonus profondément Shoegaze « Into the Wave ».


Loin de ce monde, quand, lassés du quotidien, on s’éclipse par les songes. « Voix Sereines » est là comme pour nous rappeler la beauté de ceux-ci, avec des mélodies lancinantes semblant nous murmurer ces quelques mots : « souviens-toi ». À ce morceau répond « L’éveil des Muses », dans un élan plus sombre et grave. Notre regard depuis une fenêtre se promène alors à travers l’horizon dessiné par les rayons du soleil, vers les champs en terrasse sur les flancs de montagne. Dans les reflets, voir son propre visage, quitter le rêve et retourner chez soi. Assis face à la vitre, contempler la ville s’agiter quand, pour nous, l’existence semble teintée de couleurs chaudes et lénitives. Il est ici, le refuge, et plus ailleurs. Les souvenirs, portés par les mélodies, le nourrissent, lui donnent ses formes et sa chaleur.


Je sais que nous ne sommes jamais seuls. On semble chercher des mots et des images pour saisir ce nouvel éclat qui nous éblouit. Pourtant des années après, « Délivrance » est demeuré le morceau clôturant les concerts d’Alcest, et l’on comprend pourquoi. Le langage devenu imparfait serviteur, on cesse de se poser des questions, de chercher à comprendre ce qu’il se passe, pour se laisser entraîner, comme portés par l’océan. Des arpèges introductifs naissent une composition qui va en se sublimant. Progressive, elle multiplie les couches de son au fil des secondes, comme tant de fleurs apparaissant au printemps. Une belle éclosion, déchirante, bercée par les chœurs indéchiffrables de vocalises, apparaît au milieu du morceau. Joie et mélancolie se font magnifiques compagnons et demeurent les seuls en scène quand, tous les musiciens partis, ne reste qu’un ensemble d’instruments à cordes et de voix célestes qu’on entend au loin. La bulle se rétrécit alors mais ne s’éclate pas encore ; il faudra un peu plus de temps pour cela.


Six ans plus tard, la magie opère toujours, et le disque demeure pour moi l’une des plus belles créations du groupe. Alcest n’a ici aucune prétention à révolutionner quoi que ce soit, changer l’état des choses, ou encore répondre aux exigences de créer un « Blackgaze » qui ferait plaisir à quelques journalistes. Non, Shelter, des visuels rosâtres d’Andy Julia à chacune des paroles de Neige, est un plaisir sucré comme joliment amer qui ne plaira jamais à tout le monde, mais dans lequel d’autres aimeront croquer à pleines dents. Le disque est là, nous offrant son univers tout en sincérité, et rien de plus. C’est d’ailleurs tant mieux ainsi.


Chronique écrite pour le webzine Horns Up

chevaldeglace
8
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le 7 déc. 2020

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