Ours d'or
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le 18 nov. 2012
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Ces quatre américains-là sont de vrais ours. Cachés dans leur montagne, au sein d’une forêt tortueuse dans laquelle on n’avance pas sans coupe-coupe, les Grizzly Bear élaborent une pop-folk savante. Ce sont des musiciens à tête chercheuse, qui n’envisagent pas la chanson autrement que broussailleuse, désordonnée, ardue. On pourrait parler de progressif, d’expérimental, mais c’est à la fois plus simple et plus compliqué que ça. En tout cas, malgré notre bonne volonté à suivre les chemins escarpés de Shields, on a bien du mal à rencontrer le climax.
Alors on peut bien sûr se montrer admiratif à l’égard de Grizzly Bear pour plein de bonnes raisons. Leur abnégation à faire appel à l’intelligence des auditeurs, notamment, est louable. Shields nécessite en effet d’être apprivoisé, approché à pas de loup. De fait, ce nouvel album, dont le titre signifie « boucliers », est bardé de défenses à lever les unes après les autres. Les structures complexes des morceaux sont autant de barrières à franchir pour espérer saisir l’esprit qui habite les compositions du quatuor. On ne devrait pas être surpris pourtant, on connaît l’esprit de laborantin qui anime le label Warp sur lequel ils sont hébergés. On connaît l’électro foutraque que cette maison de disques défend (à commencer par celle de Chris Clark, qu’on aime beaucoup ici). Et finalement la pop-folk de Grizzly Bear pourrait être la traduction, en instruments boisés, de cette musique-là. Un arpeggio de guitare mystique par ci, une salve de toms heurtée par là. Une soudaine accélération sous perfusion de flûtes, des cuivres qui envoient, une décharge électrique et bruitiste, on change de ton. Sans cesse. Mais avec Shields, le cérébral n’excite que rarement les sens.
Car ce que propose Grizzly Bear avec ce disque, c’est plutôt du chichi, de l’alambiqué. Ces chansons qui partent dans tous les sens sans jamais vraiment trouver de sortie, ça nous fait fumer le cerveau, et c’est au bout du compte assez épuisant parce qu’on ne sent pas récompensé de nos efforts. Parfois on entend quelque chose de beau, de sublime même, et puis tout à coup ça disparaît sans laisser de traces, pfuit. Et ces éclairs de génie, s’ils sont bel et bien présents, sont des branches trop maigres pour que l’on puisse s’y accrocher. On a beau insister, chercher la solution de ces équations musicales, on est un peu perdu. Où est le fil d’Ariane de ces jolies chansons qui rechignent à se livrer totalement ?
Bref, même armé, connaissant l’historique de la bête (dont le beau Veckatimest), on regrette que Shields fasse toujours compliqué quand il pourrait souvent faire plus simple, et, on le croit, mieux. Comme avant. Peut-être faudrait-il que l’ours sorte un peu de sa tanière, qu’il se laisse approcher pour qu’on le comprenne un peu mieux. Avec cette nouvelle collection de chansons, on a le sentiment que Grizzly Bear fait un pas en avant vers le grand public (sonorités charnelles, mélodies parfois désarmantes), et deux pas en arrière (aucun fil conducteur on l’a dit, mais aussi un systématisme dans la déstructuration un peu agaçant), comme si la simplicité était forcément vulgaire. Non, elle ne l’est pas. Il suffit de se remémorer le récent Total Dust de Dusted pour s’en convaincre. Un disque certes moins aventureux, voire squelettique, mais qui, lui, prend aux tripes.
Créée
le 3 janv. 2019
Modifiée
le 11 juin 2024
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