16 ans...une éternité pour beaucoup et une longue période où Robert Smith fignolait ses nouvelles compositions tout en faisant aussi son deuil (il a perdu ses parents et son frère...). Malgré les changements profonds ayant marqué la musique et son industrie (mort de divers monuments du rock et explosion du streaming entraînant un anéantissement progressif du cd ainsi que la promotion d'une certaine médiocrité musicale sans pareille...) les Cure se tiennent là au milieu des décombres...intacts et fringants.
Oui, comme il l'a déjà été annoncé un peu partout "Songs of a Lost World" est bien l'album que l'on attendait plus et qui demeure d'une qualité nettement supérieure à tout ce que le groupe a pu produire depuis...peut-être "Disintegration". Non pas que le groupe soit devenu totalement inintéressant depuis : "Wish" n'était pas si mal que cela rétrospectivement et "Bloodflowers" était un album somptueux (à réhabiliter d'urgence!). Pour le reste...il n'y avait pas grand chose à se mettre sous la dent et "4:13 Dream" n'était pas un album destiné à plaire à tous les fans.
"Songs of a Lost World" apparaît donc comme un miracle...un album rempli de moments forts où le spleen et la profondeur de jadis semblent préservés en dépit du poids des années, de même que la voix de Robert Smith (intacte elle aussi). L'album s'ouvre sur un "Alone" puissant et lourd diluant une atmosphère ténébreuse mais jamais "nihiliste" (à l'inverse du grandiose "Pornography" faisant office de chef d'œuvre unique et à jamais non reproductible). La batterie sonne particulièrement "mastoc" et le chant de Smith met un bon moment avant de se mêler au tout qui se déplie de manière progressive sans que cela paraisse "forcé" à aucun moment. Le piano et les claviers sont en parfaite osmose et le titre fabuleux qui suivra : " And nothing is forever" nous emporte sur un nuage de beauté et de mélancolie qui doit beaucoup à un synthé presque crémeux mais du meilleur goût.
Aucun morceau n'est "faible" ou dispensable ici mais sortent quand même légèrement du lot : le très beau "Alone", l'émouvant "And nothing is forever", le presque "pop" "A fragile thing", le rock et groovy "Drone : Nodrone" ainsi que le splendide final "Endsong" qui est sans doute ce que le groupe a fait de mieux depuis...au moins 24 ans ! Sur un rythme lourd et une guitare cinglante répétant toujours le même riff vénéneux le groupe avance dans les ténèbres avec aplomb et assurance sans jamais relâcher la tension. Ici encore le chant de Smith ne se dévoile qu'au bout d'un certain temps...le groupe privilégiant davantage l'atmosphère douloureuse et mélancolique aux mélodies "catchys" qui parsemaient davantage leurs albums par le passé. Certains amateurs déploreront peut-être les "intro" longues ouvrant pas mal de morceaux mais elles font partie intégrante du tout et font d'autant mieux monter la tension avant que l'interprétation de Robert Smith ne vienne parachever l'ensemble.
Ce qu'il y a de fort avec cet album c'est qu'il ne cherche jamais à en faire "trop" : il se contente de déployer ses atmosphères ténébreuses avec beaucoup de classe et de maestria sans chercher le tube facile ou sans jamais céder au remplissage. Il n'y a pas non plus de rythme "up tempo", les musiciens ne dépassant jamais la 2ème ou 3ème vitesse globalement...mais étrangement ce n'est pas grave : le tout n'en est que plus "grave" et profond. On pourra donc s'estimer heureux que Robert Smith ai été aussi prudent et que l'accouchement du projet fût si long. Le résultat n'est pas simplement à la hauteur des attentes : il dépasse largement toute attente.
"Songs of a Lost World" vient d'ores et déjà trôner parmi les meilleurs albums du groupe et même s'il n'a pas la dimension fédératrice et "tubesque" de "Disintegration" la qualité d'inspiration générale n'en est pas très loin.
The Cure est décidément loin d'être mort...il semble même être "né" de nouveau.
Fabuleux !