Mon regard sur l’œuvre globale de la Dream Team de Crawley est peut-être singulier. Enfant des années 80 ayant grandi dans une campagne reculée, je n'ai pas eu autour de moi un aîné me faisant découvrir The Cure, bien qu'ayant entendu ici ou là The lovecats, Close to me et Lullaby. Ce n'est qu'en 2005 qu'un ami me fit écouter Kiss me..., en me signalant bien que cette livraison de 1987 constituait une sorte de somme de leur savoir-faire, mais n'était pas leur album le plus cohérent. Bref, une introduction idéale à leur univers, m'appelant à engloutir tout le reste. Je m'en fus donc à la médiathèque, à Rouen, pour emprunter les CD des Cure dans les limites de mes droits d'emprunts (4 CD à la fois, pas un de plus !). C'est ainsi que l’œuvre complète de Bob et sa clique m'arriva en quelques semaines. Pornography fut l'un des derniers à tomber entre mes mains : il était toujours emprunté...


Il me fallut du temps pour sécher mes larmes. Et plus de temps encore pour identifier clairement les différentes phases de leur carrière. Dans mon oreille de profane, je ne me suis pas rendu compte immédiatement que 24 ans séparaient The Cure (l'album éponyme, qui était alors leur dernier en date) de Seventeen seconds, tant la continuité me semblait forte entre les deux galettes, et sans perdre de vue que je les découvrais simultanément lors du même emprunt en bibliothèque.


Au fil de mes écoutes, assorties de multiples recherches sur les forums pour confronter mon regard critique avec celui des autres, j'ai assez vite ressenti que mon positionnement était un peu décalé par rapport au ressenti général. Dans la nombreuse communauté de fans des Cure se distinguent deux tendances générales :

  • Les aficionados de la première heure, qui ne jurent que par les trois albums de la période Cold wave, et dont certains se sont partiellement consolés avec Desintegration, et dans une moindre mesure avec Bloodflowers, admettant, non sans regrets, que les pulsions autodestructrices de Robert Smith avaient cédé la place à une simple mélancolie romantique.
  • Et tous ceux qui ont permis l'explosion médiatique du groupe à partir du milieu des années 80 en faisant un triomphe à The head on the door et Kiss me..., aux sonorités plus pop.

Ces deux chapelles, en revanche, ont en commun le constat qu'à partir de Wish, aucun album n'a réussi à mettre tout le monde d'accord. C'était il y a 32 ans, et ce n'est faire injure à personne que de remarquer que le Grand Bob n'est pas le seul à avoir désormais les cheveux blancs et qu'une grande partie de son public n'est pas en reste.


Pour les raisons indiquées plus haut, je suis sans doute en décalage. Je suis scotché par A short term effect, mais je suis scotché également par A night like this, Prayers for rain, End, Bloodflowers (l'une des plus belles du groupe selon moi) et The promise. Je ne cite pas ces chansons par hasard, ce sont bien mes préférées de leurs albums respectifs, et je sais que certains seront dubitatifs en me lisant. Si ça peut rassurer certains, j'ai pris la même claque que tout le monde en écoutant A forest, même 25 ans après la bataille ça secoue toujours autant.


Mais ce public donc, pour qui Bob et sa bande sont bien souvent associés à une jeunesse insouciante, comment pourrait-il recevoir un album du souverain pontife en 2024, 16 ans après leur dernière livraison qui en avait laissé beaucoup sur le carreau ?


Ma réponse sera la suivante. The Cure n'a jamais sorti d'album REELLEMENT mauvais et, si je trouve quelques-unes de leurs chansons assez moyennes, aucune ne mérite non plus qu'on sonne l'hallali. Cette règle est-elle respectée avec Songs of a lost world ? Ma réponse est oui, mille fois oui, dès la première écoute.


Mais ce serait injurier le génie de Crawley d'en rester là.


Songs of a lost world brille par son unité et sa cohérence. A la première chapelle que j'ai évoquée plus haut, pour peu que vous ayez accepté que les flammes de Pornography sont éteintes une fois pour toutes et que vous ayez trouvé un réconfort avec la douce mélancolie de Disintegration ou la sagesse de Bloodflowers, Songs of a lost world vous apportera la paix. La délicatesse du piano de A fragile thing, la tristesse résignée de I can never say goodbye et la puissance émotionnelle de Endsong, probablement le fruit d'une longue introspection personnelle, témoignent d'un songwriter qui n'a absolument rien perdu de son génie ni de sa voix.


Restent les deux titres qui continuent à tourner en boucle dans ma tête et qui, j'en suis certain, conserveront à jamais leur place dans mon panthéon personnel réservé à Robert Smith.


Warsong, tout d'abord, toute en lenteur impériale, servie par sa production impressionnante et son thème impossible à enlever une fois qu'il s'est glissé sous la peau.


Et Drone:nodrone, qui arrive juste après, dont la première minute annonçant le thème résonne comme une possible synthèse ultime du "son" Cure. Plus agressive et saturée que le reste de l'album, servie par son air imparable, elle sonne comme le "tube" de l'album et ne manquera pas d'accrocher l'oreille des membres de la deuxième chapelle des fans de Cure, sans pour autant réellement interrompre la longue procession à laquelle s'apparente Songs of a lost world.


16 ans étaient-ils nécessaires pour livrer ce chef-d’œuvre ? Peut-être. Désormais âgé de 65 ans, Robert Smith dont les tourments ont été dès le départ des moteurs essentiels à son inspiration, fait ici le deuil de ses parents, mais aussi de son frère aîné.


Et je pleure avec lui. Merci M. Smith.



Salvattore
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le 25 nov. 2024

Modifiée

le 25 nov. 2024

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