Squaring the circle : mission impossible, non ? Et comment faire, en effet, pour relier le passé de Sneaker Pimps (Bloodsport date de 2002) à cette nouvelle mouture sans Kelli Ali, sans David Westlake (batterie) ni Joe Wilson (basse, claviers) ? Comment faire pour réintégrer la bulle magique dans laquelle cette hydre à deux têtes (Liam Howe et Chris Corner, compositeurs attitrés de Sneaker Pimps) s’est lovée pendant dix années (1994-2004) avant d’imploser en slow motion ?
Pour mémoire, la dernière apparition de Sneaker Pimps en France date d’octobre 2002, à la Boule Noire ; et à ce moment précis, Liam Howe n’est déjà plus sur scène, la vie de bohème ne correspondant plus à ses objectifs familiaux. Et Chris Corner se débat comme un beau diable sur scène, soutenu par le charisme de ses deux compères Westlake et Wilson. Sneaker Pimps se désagrégeait lentement, et Chris Corner préparait, sans le savoir, sa mue en IAMX. Le retour à la vie du projet s’est fait dans les mêmes circonstances, au ralenti, sur la pointe des pieds, étalée sur des années, de 2015 à aujourd’hui. Ce qui explique sans doute que Squaring The Circle soit aussi long (seize titres, soit un double album en d’autres temps), comme si le duo fondateur avait souhaité rattraper cette absence discographique d’une petite vingtaine d’années en « hyper » produisant.
De fait, avec une telle collection de chansons, aussi différentes les unes des autres, ceux qui découvriront Sneaker Pimps avec Squaring The Circle retrouveront sans doute leurs petits dans les trois premiers albums du groupe, injustement recalés dans un coin de la cave Postérité, au rayon trip-hop. La présence de Simonne Jones au chant est évidemment un clin d’œil au premier album entièrement chanté par la piquante Kelli Ali. Les amoureux de Splinter et Bloodsport retrouveront avec joie la voix et les arpèges de guitare acoustique de Chris Corner. Quant à la production, soyeuse, millimétrée même, de Squaring The Circle, elle est la marque de fabrique de Liam Howe. Cette compartimentation des compétences, couplée à une inévitable nostalgie, appelle un constat que l’on ne pouvait analyser lors de la première époque : Sneaker Pimps a toujours été, le temps de chaque line-up, un supergroupe qui s’ignorait (Kelli pour sa présence vocale acide inimitable, Westlake et Wilson, pour leur groove reptilien, remplacé depuis par des machines).
La preuve : Kelli Ali se livre depuis vingt ans à une carrière secrète, passionnante et touche-à-tout (du classique à l’électro-pop) ; Liam Howe a désormais une grande carrière de producteur (Lana Del Rey, FKA Twigs, Adele…) et IAMX (Chris Corner en solo) a rassemblé en quinze ans une fanbase indéfectible. Trop de talents, trop d’egos, et c’est sans doute la force et la limite de ce nouvel album, qui, finalement, ressemble plus à un (bon) disque somme qu’à une nouvelle réelle étape dans la construction de l’histoire musicale passionnante de Sneaker Pimps, groupe dont la puissance réside, au-delà de la qualité constante du songwriting, dans la mue sonore perpétuelle. Cette remise en question comme marque de fabrique est sans doute moins évidente dans Squaring The Circle, Howe et Corner étant désormais plus conscients de leur aura, et certainement plus dans une phase de maturité artistique que de recherche.
Mais il ne faut pas se méprendre, Squaring The Circle va tout de même bien au-delà du cadeau réservé à quelques fanboys la bave aux lèvres. C’est un disque travaillé sans cesse par l’idée de modernité, comme tous les précédents ; et notre époque, submergée par le r’n b et le hip-hop, est une aubaine pour un duo qui est apparu en pleine vague trip-hop, précisément un genre descendant du hip-hop, du folk et de la musique synthétique. C’est donc sans surprise que les compositions de Squaring The Circle adoptent avec succès les codes du moment (« Alibis », « Fighter », « No show »), tout en s’échappant parfois brillamment vers des contrées sensuelo-tragico-machiniques que Corner et Howe maîtrisent à la perfection (« Child In The Dark », « Immaculate Hearts », « SOS », « Lifeline », « Pink Noise », grands moments de Squaring The Circle, souvent guidées par la guitare acoustique de Corner).
Il y a finalement deux façons d’aborder Squaring The Circle : soit comme une relique, de par son caractère exceptionnel (personne n’avait imaginé qu’il y aurait un jour un nouveau disque de Sneaker Pimps) et sans doute unique (rien ne laisse penser qu’il s’agit d’un véritable retour, il n’y a pas de concerts prévus, la promotion est limitée), soit comme de belles retrouvailles, animées par moments d’un feu sacré, mais qui n’auront clairement pas le rayonnement des œuvres précédentes. Chacun choisira son niveau d’enchantement en fonction de son vécu avec le groupe.