VCMG, ce sont les initiales de Vince Clarke et de Martin Gore. Le premier n’est autre que le fondateur de Depeche Mode, parti après le premier album (il y a trente ans maintenant), le second est son successeur au sein du groupe anglais. Ces retrouvailles, Ssss, sont initiées par Vince Clarke, et appellent une succession d’enjeux pour ce frais duo de vieux de la vieille. Enjeu humain d’abord (la crédibilité de Clarke est largement inférieure à celle de Gore), un double enjeu artistique ensuite. D’abord parce que les chansons ont été créées par échange de fichiers sur internet et puis parce que les deux anciens compères sont des pionniers de la pop à synthétiseurs, à la fois héritiers de Kraftwerk et précurseurs de l’électronique contemporaine.
La situation avant VCMG était la suivante : Vince Clarke à la tête du kitschissime duo Erasure, régulièrement raillé par la critique et au succès mitigé, Martin Gore auteur-compositeur de l’un des plus grands groupes de pop contemporains remplit des stades et a gagné une crédibilité inébranlable depuis quinze ans. Clarke avait donc tout à gagner en s’associant avec Gore (une renaissance était-elle espérée ?), et le second, pas grand-chose à perdre (au pire s’amuser, au mieux, dévoiler une nouvelle facette de sa personnalité musicale). Ce potentiel conflit d’égos est heureusement évité du fait que les deux compères ont décidé de travailler sur une matière très différente de leurs précédents travaux. En gros, grâce à l’abord d’un style tout à fait différent, les compteurs sont remis à zéro. Cela écarte également toute comparaison avec leur œuvre passée : pas ou peu de mélodies, pas de voix, simplement de l’énergie reposant sur le son et le beat. Si bien que Ssss ne peut être jugée qu’à l’aune de cette forme de virginité retrouvée.
Mais qui dit virginité ne dit pas perte d’identité : on ressent tout de même dans ce disque un écartèlement entre passé et futur, deux extrémités entre lesquelles sont tiraillés depuis toujours Gore et Clarke. Gore parce qu’il est attaché à l’écriture pop flamboyante des sixties-seventies, et en même temps toujours porté vers de nouvelles sonorités. Clarke parce qu’il a fondé à l’époque un groupe novateur et porteur d’un nouveau courant qu’on ne cesse de décliner encore aujourd’hui, la synth-pop, et qu’il a été directement inspiré par les compositions froides et synthétiques des allemands de Kraftwerk. Ssss est donc le fruit de cette dualité, entres beats techno qui font trembler sol et plafond et sons analogiques tout droit sortis de la guerre froide, blips, basses autoritaires et agressives. Le résultat est d’une grande richesse, chaque minute apportant son lot de surprises reposant sur la superposition de couches sonores aux traitements millimétrés.
La technologie est ainsi ultra présente dans Ssss, des sons utilisés à la méthode de composition, esprits liés par des claviers d’ordinateur et corps séparés par les kilomètres, qui conduit naturellement à une musique cérébrale et robotique. VCMG n’a donc pas composé un disque d’émotions, ces retrouvailles naissant plus d’un dialogue entre machines que d’un échange entre personnes physiques. Mais le duo a su proposer un disque à l’intensité folle, dans lequel chaque chanson est excitante, sans temps mort et où l’on sent pleinement la liberté des deux auteurs. Martin Gore et Vince Clarke semblent véritablement respirer hors de leur carcan « mainstream », ils se lâchent, se font plaisir et nous font plaisir en se laissant aller dans cette techno qui bastonne intelligemment, sans état d’âme.
Ssss, que l’on peut logiquement rapprocher du persiflage du serpent si l’on s’en réfère à la pochette de l’album, pourrait finalement être la traduction littérale de cette association vivante, Vince Clarke et Martin Gore, mais amputée de sa chaleur mélodique. VCMG, des animaux à sang froid ? Peut-être mais alors la morsure est délicieuse !