Pour comprendre un peu ce qu'est cet album et pourquoi il est comme ça, il faut commencer par une petite chronologie du groupe.
1989 - Metallica est un groupe de metal respecté et aimé de beaucoup de metalheads. Ils ont tragiquement perdu un bassiste et sont tout de même parvenu à sortir un (leur ?) chef d'oeuvre sans lui. La critique commence même à suivre, mais ce n'est pas gagné.
1991 -Metallica deviennent des superstars du rock et du mainstream. Leur album noir est acclamé, tourne en boucle sur les radios, se vend par millions, et les clips des tubes "Enter Sandman", "Nothing Else Matters" et " The Unforgiven" passent sur MTV ad nauseam. La critique est à ses pieds, le public de tous bords aussi, les fans de la première heure se sentent trahis. La spirale de mauvais karma et de mauvaise foi commence. (Parce que ce disque est objectivement bon. Commercial, mais bon.)
1996/7 - Après 5 ans de pause à tourner, faire du fric et se demander comment rebondir, Metallica commet son premier vrai impair, et c'est un diptyque. Load / Reload a ceci de génial qui réussit l'exploit de satisfaire ou de conforter tout le monde dans sa position au groupe. Les fans récemment acquis sont à l'aise avec le style ouvertement hard FM des disques, les radios et médias diffusent les insupportables "Mama Said" ou "Unforgiven II", et ceux qui avaient tourné le dos au groupe dès le Black Album passent en mode rengaine sur un air de "Je vous l'avais bien dit !". Metallica deviennent vraiment les vendus pour lesquels ils passent depuis. Et qu'on se le dise, si le style est sensiblement le même que sur l'opus précédent et fameux, l'inspiration s'est fait la malle, tout ou presque est calibré, et la voix de Hetfield ressemble de moins en moins à quelque chose d'humain et d'audible.
Sautons 1998 et arrivons directement en 2003.
Nos compères ne savent plus que faire. Ils sont riches, célèbres, et tout le monde les déteste. Leur bassiste s'est tiré, décidément c'est pas le poste le plus facile à tenir au sein du groupe, et ils enregistrent leur nouvel album, "St. Anger" avec Bob Rock (producteur de Metallica et bassiste occasionnel pour eux et diverses formations). Les années post Reload ont été difficiles. Désintox, déprime, dépression, dépressurisation (rayer la mention inutile)... L'enfantement du disque est long et douloureux, les choix artistiques drastiques. Un documentaire sur la thérapie de groupe lancée conjointement aux sessions d'enregistrement immortalise l'impasse et ridicule aux yeux du monde les membres du groupe.
L'album est bien entendu descendu à sa sortie. "Lars Ulrich joue n'importe comment et sur n'importe quoi", "La batterie sonne comme une batterie de cuisine...rouillée", "WTF Hetfield ?", etc.
En 2003, j'ai 11 ans. Je n'écoute pas encore de metal.
Quelques années plus tard j'arrive au lycée, je découvre alors mes classiques du genre, Iron Maiden et le Metallica de 83 à 91 sont mes idoles. Sur les forums spécialisés où je cherche de nouveaux trucs sympas à écouter (ils s'appelleront très vite Black Sabbath, My Dying Bride, Burzum, Opeth, Cradle of Filth, etc), le dernier album en date de Metallica est unanimement dézingué. J'écoute tout de même "Frantic", que j'aime et qui passe en boucle dans mes oreilles quelques temps.
Je m'essaie aussi à "St. Anger", je tiens deux minutes et décide que :
- ce disque n'est pas fait pour moi
- de toute façon c'est de la merde
- tout le monde le dit, ça doit être vrai
- je n'écouterai jamais ce disque parce qu'il est vraiment naze, franchement "bouuuuh" Metallica.
Et donc le sort de cet album reste scellé pendant un moment. Je vilipende avec la masse sans même l'avoir écouté en entier, je finis par oublier que je ne l'ai jamais écouté et me conduis comme si je le connaissais par coeur et parlais donc en connaissance légitime de cause. Ici, ce sera un 3. Mes amis ? N'écoutez pas voyons ! Mon père qui aime bien, lui ? Un vieux bizarre avec des goûts décidément improbables.
Et puis Metallica, c'est quand même les connards qui ont fait fermer Napster, ça a peut-être plus de gueule que Taylor Swift qui fait trembler Itunes en retirant ses albums de leur catalogue (wtf ?), mais ça reste des connards, je peux plus télécharger la discographie d'Aqua en T3 à cause d'eux.
J'ai un peu honte d'écrire ces derniers paragraphes, mais j'expie ce qui est pour moi aujourd'hui un péché musical.
2008 - Ah, bah voilà un album qu'il est bon, un comeback digne de ce nom ! Death Magnetic me réconcilie avec le groupe, ainsi qu'une partie des anciens déçus et de la critique. La prod est pourtant vraiment pas terrible, la voix toujours aussi catastrophique et le son de batterie, no comment. Mais je sais pas, ça marche, retour à du Metallica que j'aime, des chansons de heavy thrash à tiroirs, des soli à ne plus savoir qu'en foutre, la rage à toute berzingue...
Je garde le meilleur (2011) pour la fin et je saute à ce 1er juillet 2015.
Je me lève assez tardivement, comme d'accoutumée ces derniers mois, mais un peu plus tôt que les jours précédents. La chaleur est déjà écrasante. J'ai à faire. Je décide de mettre un disque pendant que je prends ma douche. Je farfouille et tombe sur "St. Anger". Oh. Je l'avais pris à mes parents il y a quelques années dans l'espoir de lui redonner une chance qui n'est jamais venue. Today's the day.
Frantic donc, toujours aussi efficace. Et puis le reste. Je suis sous la douche, je ne peux pas couper, ragequit comme ça. Et mes douches sont usuellement assez longues. Surtout le matin. L'album se déroule, je l'écoute assez attentivement. C'est vrai que la batterie a un son chelou. C'est vrai que Hetfield c'est assez immonde. Gosh le chorus de la chanson titre est affreux, risible. Mais c'est pas si mauvais que ça. Du bon gros riff, et puis, rétrospectivement un style intéressant.
Et peu à peu, cette critique que vous lisez germe dans ma tête, prolonge ma douche et mon écoute, affine mon jugement. Et si je m'étais trompé ? Et si St Anger n'était pas l'anomalie abominable que je croyais mais un disque audacieux, avant-gardiste, mal aimé, imparfait, un peu raté, mais qui a au moins le mérite d'essayer ? Hé bien oui. Des bonnes idées, il y en a. Certainement pas suffisamment, ou pas assez bien réalisées, pour en faire le meilleur album du groupe comme prétendent quelques illuminés qui de toutes façons n'aiment pas leurs classiques. Certains passages sont à la limite de l'écoutable, mais d'autres envoient du bois. Principalement, ce sont les riffs et les structures assez complexes qui sauvent le disque et en font quelque chose d'intéressant. Il n'y a pas de solo, certes, mais ça ne manque pas. Metallica, comme quelques compères à la même époque ou un peu avant, a voulu faire son disque de nu metal, genre alors en vogue même si déjà déclinant.
Calcul commercial ou bien suicide artistique ? Un peu des deux sans doute. Slayer essuya des revers similaires avec "Diabolus in musica" en 98, et la palme du risque (et de la réussite) revient sans doute à Mayhem pour "Grand Declaration Of War", peut-être un des disques les plus ahurrissants qu'ait sorti un groupe de metal extrême "traditionnel".
Mais revenons à nos moutons. St. Anger est bourré de défauts, il est trop long, mais certains passages annoncent déjà Death Magnetic (dans la production surtout), et vraiment, le groupe a le mérite d'avoir voulu proposer quelque chose d'autre, de se renouveler. En ce sens, St. Anger est bien plus aimable que Load ou Reload. L'écoute en est difficile, mais la batterie façon "tambours du bronx / casseroles" créé parfois une belle alchimie, et le groupe, ayant voulu faire du nu à la Slipknot, sonne parfois via certaines rythmiques comme un précurseur de ce que font aujourd'hui certains groupes venus du sludge ou du hardcore. Le problème majeur étant que les musiciens (Ulrich, surtout), ne sont pas taillés pour la technicité de ce genre de metal là et que l'album en pâtit, tout en gagnant un obscur côté "art brut" qui n'est pas pour me déplaire.
Maintenant que le mal est réparé, revenons-en aux épisodes sautés :
1998 - Metallica enregistre un album de reprise, "Garage Inc.", inégal mais intéressant, où leur savoir faire est démontré parfois avec brio, ainsi que leur amour des classiques. Les reprises de Queen ou de Black Sabbath sont très bien.
1999 - Metallica sort un ambitieux double live symphonique, S&M, que d'aucuns voient comme un ultime caprice kitsch et mégalo, mais qui envoie quand même sacrément du bois. La tradition du live symphonique se perpétue d'une part, et le groupe y montre une autre facette de son talent et de sa capacité à prendre des risques (mesurés).
2011 - Metallica s'allie à Lou Reed pour sortir le concept album avant-gardiste "Lulu". L'échec est total et cuisant. La planète rit et Lou Reed meurt.