Il tape sur des casseroles
Ha! Ho! Pouah! Bouh! Le voilà! L'affreux, le vilain, le paria! Mal-aimé, le déshonoré, le fils indigne, le mal-né!
Il est venu de loin, nul ne l'attendait. On disait Papa sénile et impotent, trop vieux pour ses conneries. On ne l'a pas vu venir. Il en parlait sans cesse le vieux de son sale rejeton à venir...il en faisait des tonnes...il déblatérait des heures, à n'en plus finir...c'était à pleurer, à se rendre fou. Et qu'il serait grand - le plus grand - et qu'il serait beau - le plus beau des beaux - et qu'il vous en foutrait plein votre sale tronche de médisant. Il nous l'a rabâché l'ancêtre, son triste sourire au coin des lèvres...que la disette c'était fini, les vaches maigres oubliées! Et du retour du roi...et du m'as-tu-vu et m'as-tu-entendu.
Délire de vieille personne qu'on se disait nous autres les sceptiques. Pure divagation de cerveau décrépit. Faut dire à notre décharge qu'il donnait des signes avérés de faiblesse son bulbe à penser. En thérapie de groupe ils lui ont cramé le neurone tous ses psychologues pompeurs de monnaie. Il n'était plus qu'amour et convalescence Papy...paix fraternelle...retour des vieux copains, amitiés retrouvées... Ha! Ça carburait dur là-haut! Et que ça réfléchisse! Et que ça intellectualise! Et que ça sous-entende! Et que ça sous-jacente! Le pauvre Papa, il n'avait jamais connu ça. Lui donc si simple et bourru. Lui qu'on disait beau dans son esprit simple de bon garçon. Lui qu'on admirait de part le monde pour sa belle spontanéité! Ils nous l'on bousillé.
Mais Ho! Wahou! Ha!
Il disait vrai le vieux schnock!
Il est là. Bel et bien là. Le fils promis.
Mais pas si beau...même bizarre qu'on dirait. Il a de drôles d'airs de pas-grand-chose le môme. Il a le regard de travers des mauvais jours...l'air de je-ne-sais-pas...un peu bêta...gentiment niais. Et cet œil mauvais! Malsain! Méchant! Bah! À faire peur. Il est rustre mais alors! Rustre. Brut de décoffrage. Simplet pour les langues de vipères. On sent le produit pas fini, mal fignolé. Forcément ça déchante. Après toutes ses promesses! Ses grand-guignolages! La déception. Et agressif par là-dessus!
Il faudrait s'approcher...que quelqu'un s'y colle... mais non! Il est trop vilain. Et il mord. Et il cause...il cause...comme Papa. À s'en retourner la tête. Il n'en finit plus de ne pas finir. Et que ça tourne en rond! Et de la redite! Il a des idées ça oui. Ça fuse, ça gicle. C'est du propre. Mais qu'il est lent, qu'il se répète.
Mais allez! Osons et persévérons. Écoutons.
Il a bien un truc que ses frères n'ont pas. A bien y écouter. Il a du cœur ce diable. Et de l'amour! Et de la haine! Et du vécu! Et du à-vivre! C'est tout de même pas rien. Mais faut être décidément bien patient avec lui. Il a la rage de la naissance dans la douleur.
Il devient parfois franchement puissant quand on l'inspecte un peu. Quasiment beau...comme une lueur d'espoir au fond du tunnel putride dans lequel s'engaugeait son paternel depuis des lustres. C'est peut-être bien sa plus grande force. C'est lui le messager de l'espoir, du renouveau. Il est une promesse, ni plus ni moins...un regard glissé vers des jours meilleurs...un peu de rêve au rabais pour ceux qui y croient encore.
On s'y attache au petit. Doucement. On lui trouve un drôle de charme. On s'accroche aux vagues illusions de gloire à venir qu'il nous suggère d'un air entendu. On se régale de ses frasques, de ses risibles redites. On se ferait presque à sa détestable apparence. Et on rêve un peu, beaucoup...un coup d'œil au père grisonnant, un sourire...à quand le prochain?