Svartir sandar
7.8
Svartir sandar

Album de Sólstafir (2011)

Littéralement «Sólstafir» signifie «rayon crépusculaire» en islandais. Néanmoins, puisque nous sommes sur la dernière grande île a avoir été colonisée par les Scandinaves, ce phénomène optique et atmosphérique a également une signification mythologique : «Sólstafir» est la traduction littérale de «bâton de Sól», qui est ni plus ni moins dans l’Edda que la déesse qui tire, à l’aide de deux chevaux, le soleil.


Selon le groupe, c’était ça ou «Satanic Goat Penis», mais ils semblent avoir privilégié la poésie au second degré. Pourtant, du second degré, ils n’en manquent pas et regardent avec humour leurs premières années expliquant que formés en 1995, ils ont été trop stupides pour abandonner au bout de cinq ans ne voyant pas le succès venir. C’est finalement au bout de dix avec leur second album «Masterpiece of Bitterness» qu’ils commencent à s’exporter en dehors de l’Islande. Guðmundur Óli Pálmasonn (Grummi pour les intimes), le batteur, note à ce sujet que s’ils avaient été Norvégiens ils n’auraient pas eu de problèmes pour signer et se faire connaître plus rapidement.


Les autres membres (Aðalbjörn Tryggvason au chant et à la guitare, Svavar Austmann à la basse et Sæþór Maríus Sæþórsson en guitare lead) ne peuvent qu’être d’accord avec leur batteur et indiquent que la faible population de l’île (320 000 habitants) ne possède pas de «scène» metal à proprement parler. Cette tournée en 2005 leur a ainsi offert une opportunité qu’il fallait saisir.


Sans renier l’influence de la scène norvégienne de black metal (dont l’importance au début des années 1990 est, je pense, soit inutile à rappeler, soit trop longue à évoquer), le groupe reste depuis sa création en marge de celle-ci, tant géographiquement que musicalement ; et plus le temps passe, plus il semble se rapprocher de la sphère du post-metal et du metal progressif. Rétrospectivement, le chanteur se défend et signale que le terme de «post-black metal» désigne l’évolution musicale du groupe et non ce qu’il en est actuellement. Exit alors les dénominations à rallonge, Aðalbjörn ajoute à ses propos qu’ils sont «comme les Pink Floyd, mais bien plus heavy».


Les influences de Sólstafir sont nombreuses, et il évoque des formations classiques comme Deep Purple, Judas Priest ou Cathedral. Néanmoins d’autres formations sont citées : Duran Duran, Sigur Rós ou encore d’une façon très surprenante : Killimanjaro Darkjazz Ensemble et Bohren & der Club of Gore.


Après la sortie du troisième album, sombrement intitulé «Köld», et une tournée entre 2009 et 2010, en mai 2011 le groupe se dirige vers les studios Sundlaugin, que possède Sigur Rós, non loin de la ville d’Álafoss. Là, ils enregistrent et composent sous la houlette de Birgir Jón Birgisson, ingénieur du son de Sigur Rós, puis signent chez Season of Mist, label français. Ses représentants, voyant la longueur des compositions, proposent au groupe de sortir un double album, intitulé par la suite «Svartir Sandar”, ou “Sables Noirs” référence aux sables noirs des plages d’Islande, comme celle de Vik au sud de l’île.
L’artiste norvégien Kim Holm réalise de A à Z l’artwork de cet album, que les quatre musiciens avaient rencontré à Bergen, en retour il les avait peints en train de jouer.


La première des deux galettes s’intitule «Andvari», certainement une référence au nain de l’Edda qui lance une malédiction sur l’or et l’anneau que lui prend Loki. L’une des traductions étymologiques proposées pour son nom est «le gardien du souffle», à rapprocher du nom du second disque, «Gola», signifiant «brise». C’est effectivement durant près d’une heure et quart que des vents, parfois contraires, vont balayer nos oreilles, oscillants entre caresse et violence.


Pour preuve le premier titre de l’album, «Ljós í Stormi» ou «Lumière dans la Tempête», qui pose une ambiance lourde digne des meilleurs orages avant de foudroyer l’auditeur avec l’entrée de la batterie et du chant. Le titre se poursuit sous la conduite de Sæþór qui en guitare lead impose une ambiance atmosphérique compacte et menaçante, mais pourtant si lointaine. La section rythmique est néanmoins présente jusqu’au bout pour rappeler que la menace est bien réelle.


La seconde piste, «Fjara» («Plage») est une ballade aux airs de complainte qui raconte les émois d’un homme trahi. Ces deux titres posent la base musicale du reste de l’album toujours perdu quelque part entre le vague à l’âme et l’insurrection. Mélancolique, sombre et affligé, l’opus n’est pas un exemple d’optimisme et la signification de «Sólstafir » prend un autre sens : ce phénomène n’est visible que s’il est caché par des nuages, lesquels au gré des vents (les biens nommés «Andvari» et «Gola») sont plus ou moins chargés et lourds.


Contrairement au titre puissant, violent et énervé qu’est «Æra», «Kukl» qui clôt le premier disque, est sobre, simple et minimaliste. Le groupe n’hésite pas pour l’occasion à sortir les claviers, comme ils l’avaient déjà fait sur le précédant album. Il y a donc bel et bien un virage que prend le groupe et il revêt parfois des accents de jazz, avec le tempo de la batterie qui peut à l’occasion s’en rapprocher ou encore avec l’utilisation de saxophone à la fin de l’improbable «Melrakkablús».
Également surprenante est l’identité de la voix féminine sur les titres «Stormfari» et «Stinningskaldi». Il s’agit de Gerður G. Bjarklind, célèbre en Islande pour présenter les bulletins météo. Ceci met en exergue une chose, déjà amorcée plus haut : le groupe accorde beaucoup d’importance à la nature et aux phénomènes météorologiques.


D’autres sonorités plus exotiques se frottent aux oreilles de l’auditeur : «Draumfari» en est l’exemple même et pourrait très bien figurer dans la bande-son d’un film western, que le cavalier sur l’artwork rappelle. Ceci se voit également dans le clip de «Fjara» où une jeune femme tire un cercueil, comme Django dans le film de Corbucci. «Köld» possédait lui aussi un aspect western avec les titres «78 Days In The Desert» et «Pale Rider». Nul doute que Sæþór, amateur de Stetson et de santiags, en est à l’origine.


Cet album est en définitive un tour de force du groupe puisqu’il est uniquement chanté en islandais, ultime preuve que les textes n’ont pas toujours besoin d’être en anglais pour que la musique ait un sens.
Éthérés, corrosifs et prenants, ces «Sables Noirs» sont mouvants et l’auditeur aimera surement s'y embourber puis s’y perdre.


La musique de Sólstafir est en définitive à l’image de leur pays d’origine : froide, placide et imperturbable mais néanmoins bâtie sur une plaque volcanique où les éruptions ne sont pas rares, ce qui en fait un paysage fragile, poétique et enivrant.

louislelion
10
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le 19 sept. 2016

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louislelion

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