Certains critiquent l'approche de Bernstein sur cette cinquième. Si personne ne nie la qualité du jeu de l'orchestre viennois, d'aucuns arguent que l'illustre chef yankee insiste inutilement sur le pathos, jouant la marche funèbre initiale sur un rythme catatonique et surlignant ad nauseam les articulations du drame.
Cette ligne de pensée peut se défendre, il est vrai, et j'ai douté d'abord, ayant découvert cette œuvre dans la version nettement plus aérée, voire austère de Haitink avec le concert gebouw. C'est bien sûr que Bernstein y va à fond dans le drame mais à y bien penser, n'est-ce pas l'option la plus logique? Car au fond, celui qui en fait des tonnes, dans le douloureux pathos, c'est bien Mahler lui-même. Il ouvre sa symphonie par une marche funèbre, nom de dieu! Beethoven et Chopin les mettaient au milieu mais lui entame par un pavé déchirant à sec, assommant d'emblée l'auditeur par le terrible son du déchirement de son âme. On souligne souvent l'affinité de Bernstein avec Mahler, tous deux compositeurs obligés de diriger pour vivre et souffrant du manque de reconnaissance de leurs contemporains pour ce qu'ils considéraient comme leur vraie œuvre, échec de leur vie sentimentale, etc. Alors oui, Lenny est plus mahlerien que Mahler lui-même, et tant mieux. Il y va à fond dans le larmoyant et ça fonctionne à merveille. Ça peut déplaire au partisans d'une lecture plus objective mais tant pis, Mahler, il faut savoir aussi le vivre.
PS: Il est à noter que Bernstein a aussi enregistré la même cinquième avec le New York Philarmonic, dans un esprit similaire.