Ok... beaucoup a été dit sur les enregistrements "nationaux-socialistes" de Furtwängler et leur contexte hors-normes. On a beaucoup épilogué sur la question de savoir si le déchirement interne d'un artiste orgueilleux qui méprisait ceux qui l'instrumentalisaient éhontément pouvait rendre sa musique meilleure. En tout cas, quand on entend les fleurons de cette période on serait tenté de le croire. Il y a plusieurs sommets, la neuvième de Bruckner, la grande symphonie de Schubert, la septième de Beethoven, mais pour moi aucun qui soit aussi saisissant que cette neuvième. Écouter cette interprétation est encore à ce jour absolument épuisant. L'allegro initial est d'une intensité incroyable, empreinte d'une tension sans pitié; Furtwängler le fait vivre comme une longue imprécation inquiète et fiévreuse. L'adagio central est joué comme un chant nocturne fervent, romantique, mahlerien et quant au cœur final il est mené avec une hargne de tous les instants, et emmené vers une coda endiablée qui se désintègre dans sa propre folie. Peu d'interprétations de Beethoven sont aussi modernes tout en semblant aussi spontanées. Peu d'interprétations également font autant ressortir la profonde ambiguïté de cette œuvre qui est une ode à la joie en ré mineur avec fanfare de mirlitons, un chant de joie né dans la souffrance et l'angoisse et qui pour un peu y retourne bien vite, un hymne à la vie comme une profession de foi, un vœu pas encore résigné. Beethoven a mis toute son âme dans sa dernière symphonie et Furtwängler et le philharmonique de Berlin lui font le merveilleux hommage de lui rendre la pareille dans une interprétation qui est aussi une recréation.