Le départ du batteur Klaus Krieger et l’arrivée de Joannes Schmoelling suite à un casting réussi recadre Tangerine Dream dans ses ambitions électroniques. Les temps du rock progressif de Cyclone et Force Majeure se doivent d’être révolus, puisque la fonction de Schmoelling, claviériste et bidouilleur, ramène le trio aux bases élaborées anciennement avec Peter Baumann. Désormais et pour environ six ans, Tangerine Dream redevient un trio de synthétiseurs. D’approche plus classique et mélodique, la musique injectée par le nouveau venu alimente quelques changements dans la direction, désormais moins progressive, plus axée sur les textures et les séquences, opérée par les trois musiciens. Ainsi, historiquement, Tangram s’établit en tant que successeur de Force Majeure. Musicalement, c’est plus d’une sorte d’assemblage des sonorités de Stratosfear et Force Majeure que se rapproche cette nouvelle offrande.
Joannes Schmoelling permet à Tangerine Dream d’aborder de nouvelles contrées créatives, plus optimistes et mélodieuses qu’à l’habitude. Les débuts du « Set 1 » apparaissent même naïfs pour quiconque serait familier des œuvres antécédentes du trio. Chez Tangerine Dream, les joies de l’innocence s’effectuent après la maturité, la candeur n’en apparaissant que plus pondérée. Ainsi, forts de dix années de carrière à expérimenter dans l’inexpérimenté (l’ambient, période Pink/Ohr), ou le trop chevronné (rock progressif, période Virgin), les trois membres s’imposent un constat lucide : il est temps d’apprendre à se poser. Il leur faut se créer une identité. Pour le moment, les berlinois n’ont eu de cesse de vagabonder à travers de multiples univers musicaux. Il est temps de s’installer dans l’un d’entre eux. Schmoelling est l’occasion rêvée d’accomplir ce doux rêve d’identité électronique.
Car, bien entendu, le retour aux trois synthétiseurs signifie l’irrémédiable retour aux sonorités électroniques déjà exploitées quatre, voire cinq ans plus tôt. Il ne s’agit pas, pour Edgar Froese tout du moins, d’effectuer une redite technique, artistique et onirique de Ricochet à travers diverses réminiscences passées. Ils doivent aller plus loin, préparer le terrain pour le futur. Les années 80 s’annoncent avec autant de fierté que de ridicule : la décennie sera synthétisée… Et qui de plus indiqué que Tangerine Dream pour s’imposer dans un monde synthétique ?
Ainsi, Tangram peut-être appréhendé comme la carte d’identité d’un groupe nouvellement touché par une cure de jouvence. Ces changements de direction passent par un approfondissement des mélodies séquencées. Malheureusement, la mémorisation des thèmes, optée pour Stratosfear ou Force Majeure est bien moins efficiente ici. L’imaginaire de Tangram demeure trop abstrait pour que l’on daigne s’y exiler sur le long terme. Ce manque de consistance ne l’empêche pas de poser les bases d’une nouvelle époque pour Tangerine Dream, l’époque Schmoelling, berceau de belles escapades à venir.