Il est intéressant de se poser une question lorsqu'on prend le pari de mettre en musique les univers de Poe ou du maître de Providence Howard Philips Lovecraft : sera-t-on à la hauteur ?
Pas mal de groupes s'y sont essayés mais oublient trop souvent que la prose d'HPL n'est jamais violente et les monstruosités ou la détresse de l'homme face à l'inconnu et au vide esquissées avec une grâce diaphane. Les phrases coulent, amènent des ambiances de rêve, de malaise puis par petites touches un tableau grandiose est dépeint mais au final la brutalité est plutôt rare. Au passage nous noterons que le titre de l'album est un emprunt aux Montagnes Hallucinées mais lui même emprunté aux "Les Aventures d'Arthur Gordon Pym" seul roman d'Edgar Poe traitant lui aussi de la découverte de mystères aux confins de l'Océan Antarctique.
La démesure vous l'aurez compris n'est donc pas de mise tout le temps, les hurlements doivent être maitrisés et répartis, le délire sonore canalisé et évidemment la douceur ne doit pas être exclue. Dépeindre le paysage fantastique de ces montagnes hallucinées inconnues et culminant à plus de 10 000 m d'altitude, cette détresse de la condition humaine face à l'inconcevable, la magie de découvertes époustouflantes, un panthéon d'entités abstraites, en vagues sonores est un défi monumental et irréalisable tant en littérature qu'en musique.
Toutefois les grands artistes sont capables de soulever un coin du voile pour nous laisser entrevoir une toute petite partie des mystères qui conduisent directement à la folie. Mysticisme, ésotérisme, religion, science, si loin que l'œil humain porte il n'aperçoit qu'une portion misérable. Abattue, tordue et malheureuse cette pauvre créature terrestre maîtresse de toutes les autres espèces de sa planète et tentant de rivaliser avec la nature se retrouve définitivement murée de solitude et de silence.
Le seul reproche que l'on pourrait faire à un album tentant le pari de rendre musicalement le grand vide interstellaire rêvé par Lovecraft est le manque de calme, de légèreté, de douceur. Heureusement le groupe a su repérer la marche et l'éviter. L'album alterne donc entre douceur mélancolique acoustique et violence vacuitaire électrique, s'ajoute la voix posant le récit qui se fait entendre de place en place et permet une respiration à l'ensemble.
Une réussite alors ? Oui, même pour un auditeur effrayé par les hurlements, par ce chant guttural venu du tréfonds de l'horreur.