Homme stupide, faisant de l'auto-stop pour une belle vie en Saskatchewan
Et il pense qu'il aura de gros avions,
Qu'il va construire une maison sur un terrain...
Nous voilà prévenu.
"Stupid Man", en quelques sortes, annonce la couleur. Lou Reed n'a aucunement l'intention ici de nous démontrer son intelligence musicale. Il a juste envie de s'offrir des plaisirs compliqués, avec une très forte dose d'autodérisions. Etant donné que cet artiste est accolé depuis toujours à une image subversive et dépressive, cet album mettra beaucoup de monde sur le carreau. Et devinez quoi ? C'est fait exprès. J'en suis persuadé. Impossible de composer "Disco Mystic" sans un arrière-goût de farce cynique, sans que cela soit pensé comme une pastiche volontairement minable. D'autant plus si on s'appelle Lou Reed. Le plus drôle, c'est que cet album contient des légendes du jazz en son sein (y'a Don Cherry putain), et lui, il s'amuse à jouer avec le jazz comme un chat avec sa pelote de laine ! Les compos sont belles je trouve, mais il est évident qu'on ne peut les apprécier qu'en les prenant au second degrés. L'album entier a été conçu comme ça. Mais autant la musique se moque d'elle-même volontairement, autant il n'y a pas d'excuse pour les parties vocales du chanteur, qui là se plaquent vraiment où il veut quand il veut. Et il n'empêche qu'il y a des hontes véritables, comme "With you", et une ambiance majoritairement oubliable. La musique est cool, mais sans plus.
On se dit, du coup, que ce cher Lou Reed se moque de lui, du jazz, du disco, de son image, et également de nous aussi, du coup.
Et puis vient la conclusion "The Bells", certainement le final d'album le plus audacieux que je connaisse.
Et les actrices racontent
A l'acteur qui rentre tard
Après les jeux qui les ont diminué
Et les foules se sont dispersées autour
Bien qu'il y ait les lumières de la ville et les rues
Aucun billet ne pourrait être battu
Pour le plus beau des spectacles.
Et là, tout devient éclairci. Sous une instrumentation assez Biblique tendance Apocalypse, avec des cris de jazz beaucoup moins enjaillés et répétitifs que sur les autres morceaux, languissant sous de voiles obscures texturées par une musicalité définitivement scellée, Lou Reed nous annonce que tout ceci n'était qu'un faux reflet de lui, et nous prouver ainsi à quel point un artiste est prisonnier de son image. A quel point, surtout, tout chez lui est pris au sérieux d'office dès que l'on est une rock star. A quel point, lui, il veut nous faire croire ce qui lui chante, et si t'es pas content, rien ne t'empêche de retourner écouter un album avec le Lou Reed que tu veux voir : chaque album est un Lou Reed différent, ce sont tous des personnages. Et, sur ces 9 minutes de parfum de fin du monde, où toutes les créatures semblent se lever de leurs cercueils pour rire de nous, Lou Reed en prince des angoisses attitré accepte enfin de nous montrer son vrai visage. Ça rend, bien sûr, un des meilleurs morceaux de sa carrière. Et je ne peux qu'être admiratif, à quel point il a berné tout le monde, et à quel point... bah, à quel point il s'en bat les roubignoles quoi ! Le miroir se brise : la cloche seule reste.
En regardant dehors, il pensa avoir vu un ruisseau...
Et il a hurlé : Regardez, il y a les cloches
Et il a chanté, voici les cloches !
VOICI LES CLOCHES !
VOICI LES CLOCHES !
Sacré Lou...