Sorti en mars 1973, Dark Side of the Moon (l’article The apparaîtra avec la réédition de 2003), marque une rupture avec le passé du Floyd : même s’il s’agit d’une métaphore sur la folie (les thèmes et les paroles sont l’œuvre de Roger WATERS) qui fait implicitement référence à Syd BARRETT, ce disque permet au groupe de se libérer de son leader d’origine. De plus, musicalement, les longues fresques de 20 minutes sont abandonnées au profit d’un format plus classique de dix chansons.
Concept album suprême, DSOTM a été élaboré à l’occasion de multiples concerts, avant d’évoluer au fil des répétitions et enfin, des séances d’enregistrement. Chaque face du vinyle s’écoute comme une seule plage, les morceaux étant reliés les uns aux autres :
1. Sur à peine plus d’une minute, Speak to Me ouvre l’album avec une suite d’effets sonores que l’on retrouve tout au long du disque. Le premier de ces effets est un battement de cœur reproduit par Nick MASON qui frappe sa grosse caisse rembourrée avec une mailloche. La transition avec le morceau suivant est parfaite.
2. Breathe ne saurait être dissocié de Speak to Me, dont la montée en puissance et la tension oppressante se libère en une poussée d’adrénaline qui propulse cette ode au carpe diem vers les étoiles. David GILMOUR est omniprésent entre ses nombreuses parties de guitares et les voix. Ses envolées avec la pedal steel colore le morceau de façon unique. Les claviers de Rick WRIGHT se distinguent aussi, même si on peut dire que le groupe est en totale osmose.
3. On the Run commence par une rythmique de charleston avant que ne surgisse la fameuse séquence jouée par Roger WATERS sur le tout nouveau EMS Synthi A. Le tempo de cet instrumental est rapide et contient de nombreux overdubs. Ce titre est une suite d’effets sonores traduisant de façon explicite la vie trépidante à laquelle sont soumis les membres du groupe, et notamment la crainte que leur inspire les voyages en avion.
4. Time débute par les cliquettements d’horloges qui explosent en un fracas de sonneries diverses. Il s’agit d’un enregistrement d’Alan PARSONS (l’ingénieur du son) qui servira d’intro à la seule chanson de Dark Side créditée des quatre membres du groupe pour ce qui est de la musique ; les paroles de WATERS évoquant la course inexorable du temps qui passe, mais aussi la perception que l’on en a à travers les différents âges de la vie. Les chœurs féminins ainsi que le chant éraillé et l’attaque de David GILMOUR à la Stratocaster font le reste, pour ce qui est l’un des morceaux majeurs de l’album.
5. Né de la phobie de Rick WRIGHT pour l’avion, The Great Gig in the Sky est une superbe et émouvante chanson magnifiée par la performance vocale – et suggestive – de Clare TORRY qui sera finalement reconnue comme cocompositrice de ce grand spectacle dans le ciel en 2005. Malgré ce chant magnifique – mais sans paroles – on considère ce sommet de l’album comme un instrumental.
6. Money ouvre magistralement la face B du disque. Paradoxalement, c’est avec cette chansons engagée, résolument anticapitaliste, que Roger WATERS entre dans le cercle des très riches songwriters de la scène rock. En effet, sorti en single en mai 1973, le titre connait un succès fulgurant, à la destinée planétaire. Le morceau débute par l’ouverture d’une caisse enregistreuse, puis la boucle de sept sons surgit avant l’un des riffs les plus célèbres de l’épopée rock (exécuté par WATERS à la basse). La voix au timbre rock de GILMOUR – qui exécute également trois excellents solos de guitare – ainsi que le saxophone de Dick PARRY apportent leurs pierres à l’édifice.
7. A l’origine, la mélodie d’Us and Them avait été composé par Rick WRIGHT au piano, pour la BO de Zabriskie Point. WATERS y ajoute des paroles sur la question fondamentale de savoir si la race humaine est capable d’être humaine. Ce titre, le plus long de l’album, est aussi l’un des plus planants : quand GILMOUR attaque le lead vocal, le morceau monte en intensité mais c’est surtout l’écho – répété – des premières et troisièmes syllabes des couplets (merci Alan PARSONS) qui donne sa dimension et sa singularité à la chanson. A cela s’ajoutent (entre autres) deux magnifiques parties de saxophone signées Dick PARRY…
8. Issue d’une improvisation, Any Colour You Like (slogan commercial) est une respiration bienvenue dans un disque particulièrement dense. Fondé sur un dialogue guitare électrique/synthétiseur, cet instrumental se distingue par son atmosphère psychédélique.
9. Brain Damage est une allusion de WATERS à Syd BARRETT, son ami d’enfance. Cette chanson doit lui tenir à cœur car en plus de la basse, il se charge exceptionnellement du chant (sous les encouragements de GILMOUR). Ce dernier débute le morceau par deux parties de Black Strat opposées dans la stéréo. Les arrangements sont enrichis par l’orgue Hammond de WRIGHT mais aussi par les superbes backing vocals de Doris TROY, Lesley DUNCAN, Liza STRIKE et Barry St. JOHN. The lunatic is on the grass…
10. La réalisation d’Eclipse s’entremêle avec celle de Brain Damage car tout deux sont enchaînés l’un à l’autre. On retrouve d’ailleurs WATERS au lead vocal. Les paroles sont relativement mystiques, et ce dernier titre se termine comme Speak to Me a commencé : par des battements de cœur. A noter la démonstration gospel de Doris TROY qui apporte une intensité dramatique puissante à ce final.
En dépit de thèmes particulièrement sombres : l’anxiété et le stress, la paranoïa et la peur, la mort et la folie, The Dark Side of the Moon connaît un succès phénoménal (on estime que les ventes atteignent aujourd’hui entre 45 et 50 millions d’exemplaires), ce qui le classe à la 3ème place dans l’histoire de l’industrie du disque (derrière Thriller de Michael JACKSON et Back in Black d’AC/DC).
Mais ce chef-d’œuvre a quelque peu déstabilisé PINK FLOYD ; il arrive un peu tôt dans la carrière du groupe (même s’il s’agit de leur 8ème album), et surtout il verra l’emprise de Roger WATERS s’accentuer sur ses partenaires, et les tensions monter, jusqu’au départ du bassiste en 1985.
[critique initialement publiée le 23 avril 2023]