Présenté comme une ré-interprétation, une ré-imagination, un "redux" de l'album culte connu de tous, je n'y vois pour l'instant qu'une ré-écriture de l'histoire, la pénultième pièce d'un plan conçu par Roger Waters pour minimiser, d'aucuns diront annihiler, l'apport de ses anciens collègues de studio dans l'oeuvre de Pink Floyd (l'ultime clou dans le cercueil devant être la parution de ses futures mémoires).
Parce qu'il ne faut pas s'y tromper: dans l'esprit revanchard de Roger, Pink Floyd c'est lui, et ça le restera à jamais.
L'écoute de cette galette est pénible.
On est initialement surpris par l'invitation des paroles de Free Four en introduction sur Speak To Me. Un clin d'oeil sympa à un titre écrit plus ou moins au même moment que la création initiale de l'album.
Puis la surprise bascule dans la circonspection, quand on se rend compte que les belles mélodies sont effacées derrière des flots de paroles prononcées d'une voix qui semble vouloir singer Leonard Cohen... On en vient même à souhaiter qu'il se taise pour laisser parler la musique, mais de musique il n'y a presque plus rien! On the Run et The Great Gig in the Sky sont ainsi totalement méconnaissables.
Et la circonspection se mue en colère. La colère d'avoir à ce point "ré-inventé", pour ne pas dire massacré, des morceaux si cultes qu'ils ont marqué des générations entières: pourquoi les poils sur mes avant-bras ne se dressent-ils plus en écoutant Time..? où est passé l'émotion brute transmise par la voix de Clare Torry sur Great Gig in the Sky? Où sont passés les frissons provoqués par les saxos et les claviers sur Us and Them? Disparus, enterrés sous l'égo d'un vieil homme, où l'aigreur ne semble jamais être bien loin.
On pourra cependant reconnaitre à cette version Redux une qualité: celle de réaffirmer à qui pouvait en douter l'apport crucial et déterminant des autres musiciens de Pink Floyd à la cohérence et au génie de l'album de 1973, apport que Waters ne cesse de vouloir minimiser au fil du temps. Nick Mason n'est certes pas le meilleur batteur de l'histoire, mais son jeu de batterie manque cruellement ici, remplacé par ce qui semble presque être une boite à rythme tellement le jeu de Joey Waronker est creux et anémique... Les claviers de Rick Wright? réduits à leur plus simple expression. Le saxophone de Dick Parry contribuait énormément aux envolées de morceaux comme Us and Them et Money, qui perdent ici toute leur puissance. Je ne parlerai même pas de l'absence totale de guitare. L'importance de l'apport de David Gilmour au son de Pink Floyd ne peut être nié. Roger Waters reste ici cohérent puisque son précédent album Is This The Life We Really Want souffrait déjà de cette absence et de cette volonté de prouver qu’on peut faire un bon album de rock sans guitare. Raté. Deux fois.
Roger peut invoquer toutes les raisons qu'il veut pour justifier la "ré-invention" de Dark Side, se cacher derrière n'importe quelle démarche artistique: tout est guidé par son égo, un égo présent partout et tout le temps, même dans les silences et respirations du chef d'oeuvre originel noyés ici derrière un bavardage vain et incessant.