Nous sommes en 2002,Eminem s’est fait environ 10 millions de dollar avec son dernier album sorti deux ans auparavant et atteindra 4 millions avec Devil’s Night, l’album qu’il signe avec D12. Il représente le rêve américain à travers le hip hop et est indéniablement à cette époque l’une des plus grandes stars de la musique alors qu’il n’a sorti officiellement que deux albums (ne comptons pas Infinite, ce sera plus simple). C’est dans cette lancée qui ne semble pas ralentir qu’il sort un troisième opus qui à coup sûr se vendra bien, car ces années là Eminem était au top. Tout en haut du monde du rap, son ascension a été fulgurante, l’homme est passé du statut de petit blanc juste connu dans Detroit à celui de Rap Star internationale. Que peut-il demander de plus ?
Et pourtant….Pourtant la vie de Marshall n’est pas de tout repos et sa notoriété devient une vulnérabilité. Accablé par son succès qui apporte autant de problèmes que de bénéfices, il est fatigué par sa vie de star à peine entamée et il en parle. Non. Il le crie dans cet album, et ça dés la première track dans laquelle il expose sa situation « Je n’aurais jamais rêvé en un millions d’année voir tant de fils de putes se sentir comme moi, partageant le même avis et exactement les mêmes croyances. C’est comme une putain d’armée qui marche derrière moi ». White America est son premier avertissement qui dit « Regardez où j’en suis, je suis au top et regardez ma vie. Je fonce droit dans le mur !». L’Amérique l’aide à gravir les échelons et se plait en même temps à le fusiller car c’est le prix à payer quand on est une star de la provoc et qu’on ose ouvrir sa gueule. Il faut s’attendre à devenir un porte parole autant qu’un bouc émissaire. Par conséquent il faut avoir de sacrés épaules pour porter tout ça, surtout quand le poids des médias s’ajoutent à celui de la vie privée. Car c’est bien là que réside la malédiction d’Eminem. Le mec est une star mais sa vie privée est de plus en plus chaotique et elle l’entraîne vers un gouffre qu’il connaitra en 2006.
C’est ça Eminem Show avant tout, un appel à l’aide qui dépeint toute cette vie compliquée comme un spectacle. Vous connaissez le Jerry Springer Show ? Cette émission racoleuse américaine qui expose des problèmes d’adultères, de couples et de familles sur un plateau télé et qui chauffe un public avide de castagne. L’album en est une référence directe, la vie du pouilleux Marshall Mathers est exposée à tous et les médias n’attendent qu’une seule chose, qu’elle s’effondre. La force de l’album est d’étaler une nouvelle fois ces problèmes mais contrairement aux albums précédents, l’humour n’est pas tout le temps là pour maquiller la dure réalité. Quand Eminem parle de sa mère, il ne prend plus un petit accent ridicule pour dédramatiser son conflit avec elle, il l’affronte dans un titre sérieux. Quand il parle de son succès au lieu d’écrire un titre joyeux, il dit qu’il aimerait freiner tout ça, voire même arrêter. Vous voulez une preuve que cet album est un appel à l’aide. Regardez la traduction de Say Goodbye Hollywood.
2ème couplet « Je plonge mes yeux dans les BD, car j’ai envie de ne rien voir d’autre. Je n’en peux plus de ce monde, j’ai avalé tout ce que je pouvais. Si je pouvais encore avaler un flacon entier de Tylenol, je le ferais. Et j'en finirais une fois pour toute - dire simplement adieu à Hollywood. Ca serait certainement la meilleure chose à faire, tous ces problèmes s’empilent d’un coup. Parce que tout ce qui m'a touché reste piégé au fond de moi. Je crois je suis en train de toucher le fond mais je ne suis pas sur le point d'abandonner. »
D’un autre côté Eminem ne fait pas que se plaindre, il sait aussi asseoir sa notoriété et reconnaitre son statut. Dans des titres d’égo trip pour une fois justifiés et surtout inhabituels comme le single Whitout Me où il explique qu’une fois parti, il manquera au monde du rap et aux médias. « Je suis la pire chose depuis Elvis Presley pour faire de la musique noire si égoïstement et m’en servir pour me rendre riche. Il y a un concept qui marche, 20 millions d’autres rappeurs émergent mais qu’importe le nombre de poisson dans la mer. Ce serait si vide sans moi ». Mais aussi dans des titres déjantés comme My Dad's Gone Crazy ou des morceaux coup de poing comme l’énorme 'Till I Collapse. Je crois que tout le monde comprend ça, la vie de Marshall nourrit l’art d’Eminem et accentue la violence de Slim Shady. Eminem n’a pas besoin de parler de ses problèmes d'argent s’il n’en a plus puisqu’il a d’autres problèmes. Des soucis avec les ligues homosexuelles et féministes, des soucis avec sa mère, avec sa femme, des soucis avec la justice et surtout des comptes à régler avec les médias et avec l’Amérique toute entière qui a peur de lui et de son influence grandissante. Eminem savait déjà qu’un jour ou l’autre il allait s’effondrer sous tout ce poids, il avait anticipé tous les problèmes qui l’ont amené à la drogue et la dépression. Dans Eminem Show il en parle sérieusement alors qu’il aurait pu continuer à raconter des bêtises sous la voix de Slim Shady, il a préféré parler d’un éventuel ralentissement de tout cet emballement et bien sûr tout en restant dans un rap efficace. Donc moi je me pose une question. Qui disait déjà que Recovery était l’album de la maturité ?
Bien sûr l’album n’est pas intéressant uniquement pour ses textes et ce qu’il propose dans le fond mais c’est la forme qui est primordiale. Bien évidemment, j’aurais beau parler du contexte de la sortie de l’album, du personnage ou des lyrics. Nous, tout ce qu’on entend c’est du rap sur des instrumentales et la qualité elle est là. Alors avant tout, je tiens à préciser que pour moi Eminem est le meilleur rappeur du monde. Je parle de technique, de la façon de « rapper ». Son flow est indétrônable. Et c’est quoi un bon flow ? Beaucoup de gens seront aveuglés par des flows rapides à la Busta Rhymes, mais un débit rapide à lui tout seul ne fait pas un bon flow. Un flow qu’on retiendra c’est un flow qui saura varier autant qu’une mélodie varie, c’est un flow qui n’aura plus besoin d’être épaulé par une instrumentale mais qui la transcendera et Eminem fait ça. Son rap est un chant aux intonations différentes, dans n’importe quel morceaux il créé la mélodie principale. On pourrait lui mettre un métronome en instru, il arriverait quand même à faire un morceaux de malade. Sa voix joue sur les intonations. On pourrait chanter son rap, sa voix prend de la hargne, s’emporte puis se calme, elle joue sans arrêt. Son flow joue des notes, c’est une mélodie sans boucle et si j’étais bon guitariste je pourrais la jouer. Il joue non seulement avec sa voix mais c’est aussi un roi des allitérations et du placement de rime. Il ne se contente pas de placer une rime à chaque fin de phrase vous voyez, lui il les dissémine un peu partout en prenant soin de les appuyer dans l’intonation. Son schéma de rime peut être suivi, croisé ou mixte, en fait il n'a pas de schéma. Il place ses syllabes où il le désire et peut faire de multiples croisements tout en gardant un flow droit et en faisant sonner toutes ses rimes. Dans Eminem Show sa technique ne faille jamais, elle fonctionne à 100% , pour tous les morceaux. L’album met à l’amende tout ce que le rap a pu faire et même aujourd’hui, aucun rappeur n’a apporté une technique aussi intéressante. La perle de l’album niveau flow reste quand même Business, son premier couplet tout en allitération. « You about to witness hip-hop in it’s most purest, more rawest form, flow almost flawless, most hardest, most honest know artist, chip off the old block, but old doc is back » mais à vrai dire tous les morceaux sont techniquement parfaits.
Rajoutez à cette technique des instrumentales efficaces, soutenant parfaitement l’ensemble, ne faisant jamais d’ombre au rappeur mais étant assez bonnes pour apporter l’ambiance nécessaire. Merci Dr Dre mais surtout merci Eminem lui-même qui avec l’aide de Jeff Basses produit la plus grande partie des instrus. Dre n’a travaillé entièrement que sur trois titres, Business, Say What You Say et My Dad’s Gone Crazy. Au final la qualité est là et elle forme un équilibre parfait. Ainsi on se retrouve avec des morceaux purement rap et qui prennent aux tripes comme Soldier, When The Music Stops et 'Till I Collapse. On a droit également à des morceaux agréablement dosés, mélangeant rock et rap habilement comme Sing for The Moment et son sample de Dream On d'Aerosmith, avec même un petit solo de guitare à la fin. Pour pousser l'inhabituel encore plus loin Eminem chante sur Hailie's Song, il chante ! Il le fait assez maladroitement mais c'est tellement sincère que ça fonctionne et dans ce morceaux encore on remarque des influences rock avec des touches de guitare. Le travail musical de l'album s'accorde merveilleusement bien avec le travail du rappeur, c'est ce que j'appelle un équilibre remarquable. La combinaison idéale qui offre du début à la fin une musique parfaite.