Suite à l'immense succès de Born in the U.S.A., Bruce Springsteen intensifie la Bossmania, notamment en parcourant les stades du monde entier mais va se séparer de son E Steet Band en 1989, deux ans après le décevant Tunnel of Love. S'il gagnera un oscar pour sa contribution musicale au film Philadelphia de Jonathan Demme, ces quelques années, et deux disques très mitigés, marqueront un léger déclin pour le Boss (bien qu'à mon sens il a commencé juste après Nebraska).
C'est alors qu'il reforme l'E Street Band pour quatre inédits en 1995, redonnant du souffle à sa carrière mais, comme en 1982, surprend tout le monde et s'en va faire un album folk, entièrement acoustique avec un groupe très restreint. The Ghost of Tom Joad lui permet de réaliser un vrai retour aux sources et de clairement montrer, et affirmer, qu'il n'a pas oublié d'où il venait. De manière pertinente, il reprend en partie le personnage de Tom Joad, protagoniste des Raisins de la Colère de Steinbeck, et fait le parallèle entre la grande dépression et son époque, alors que le creusement des inégalités s'accentue. Il évoque son Amérique, celle des laissés-pour-compte, des recalés du système et de ceux qui le subissent le plus. L'ambiance est donc plutôt sombre, rarement voire jamais optimiste, souvent touchante à l'évocation de ce pays si riche qui délaisse pourtant ceux qui l'occupent, mais aussi posée, notamment grâce à un orgue constamment présent.
C'est d'ailleurs là l'une des réussites de l'album, la façon dont le Boss évoque des sujets graves, comme la pauvreté ou le déclin industriel, sur des musiques plutôt douces. Dans les deux cas, il réussit un véritable tour de force après trois albums décevants, il se montre inspiré dans les compositions, accompagné par d'excellents musiciens et trouve toujours le bon équilibre et le ton juste, créant un ensemble cohérent et une ambiance qui s'installe peu à peu et reste constante tout le long du disque. Dès les premières secondes et la chanson qui donne son titre à l'album, on ressent pleinement cette atmosphère, avec une guitare mêlée à un harmonica, puis l'orgue, accompagnant merveilleusement la voix posée du Boss. Il continue sur cette lancée, sans aucune réelle fausse note malgré un ou deux titres un peu en dessous de la moyenne mais qui s'incorpore tout de même très bien à cette ambiance. En plus de The Ghost of Tom Joad, quelques autres titres viennent se joindre à ce que Springsteen a composé de mieux depuis bien longtemps, à l'image d'Highway 29, la formidable Youngstown ou encore The New Timer.
Néanmoins, cet album laisse quelques regrets et notamment sur un point précis, celui de la production où l'équilibre entre la voix et les arrangements est parfois défaillant, avec un chant trop mis en avant. Rien de bien préjudiciable même si c'est dommage, l'émotion est bien là, tout comme la poésie et pertinence d'un Springsteen qui retrouve son inspiration et ses racines. The Ghost of Tom Joad est souvent envoutant, avec l'impression que le Boss nous emmène traverser dans un long voyage à travers les campagnes pauvres d'Amérique, accompagné de sa guitare et de sa verve pour constater les dégâts de ce monde et d'un système qui enrichit les plus riches et n'a aucune pitié pour ceux d'en bas, ceux qui doivent travailler la terre et vivre avec le chômage, la crise ou encore la pauvreté. Suite à cet album, il reformera enfin l'E Street Band en 1999 pour repartir définitivement sur les routes avec, continua de dénoncer ce système et ses défaillances, ainsi que sa vision de l'Amérique, et c'est les terribles attentats du 11 septembre qui inspireront son disque suivant, The Rising.
Le Boss est enfin de retour après quelques années plus mitigé, où il semblait avoir perdu ses inspirations et racines passées. The Ghost of Tom Joad lui permet, tout en acoustique et avec autant de pertinence que de noirceur et d'émotion, d'évoquer sa vision de l'Amérique et d'un système clairement défaillant.