The Joshua Tree
7.1
The Joshua Tree

Album de U2 (1987)

Il est des groupes qui font consensus, et U2 fait partie de ceux-là. Pourquoi ? J’ai essayé, réessayé, me suis arraché les cheveux à tenter de comprendre, mais n’ai toujours pas réussi à voir en quoi U2 serait un groupe exceptionnel. Parce que c’est bien de ça qu’il s’agit : méritent-ils ces éloges si dithyrambiques qu’ils semblent avoir leur place réservée au Panthéon ? Pour répondre à cette question, j'ai décidé de réécouter attentivement un album de U2 en tâchant de cerner ce qui va et ce qui ne va pas. Mais avant, j’ai imaginé un petit exercice assez amusant. Allons faire un tour sur le site Besteveralbums, où l’on peut trouver une liste des « meilleurs artistes de tous les temps » basée sur les listes de 22 000 mélomanes : http://www.besteveralbums.com/bandstats.php.



Petit exercice amusant destiné à faire descendre U2 de son piédestal



D’ordinaire, j’aime les groupes qui font consensus. D’ailleurs, j’aime tous les artistes du Top 20 établi par Besteveralbums, qui font consensus sinon ils ne seraient pas là. Sauf un. Vous avez compris lequel sans doute : ce nom, là, en quinzième position, fait un peu tâche. Mais pourquoi est-ce que je n’arriverais pas à les aimer, moi, alors que tout le monde en dit le plus grand bien ? Est-ce que j’aurais une malformation neuronale ? C’est trop injuste. Alors j’ai fait le vide dans mon esprit, traversé le désert, et ai élaboré une hypothèse aussi osée qu’hasardeuse : et si le problème ne venait pas de moi mais d’eux ? C’est ce qui m’amène au petit exercice que j’évoquais plus haut. Nous allons confronter U2 à chaque artiste du Top 20 du consensus et observer ce qui se produit.


Premier fight : U2 vs the Beatles. Pauvres Irlandais, cela commence mal pour eux. Se confronter aux Fab Four, en même temps, il fallait oser. Combien de genres musicaux inventés par les Beatles ? 4 ou 5. Combien de genres musicaux inventés par U2 ? 0. Bon, ce n’est peut-être pas grave, allons voir du côté des compositions… Paul McCartney sort « Ob-la-di Ob-la-Da », Bobo réplique avec « I Still Haven’t Found ». Bien joué, 1-0 pour U2. Ah, John Lennon arrive avec « In My Life » et Bobo lance « New Year’s Day ». Egalisation, 1-1. On continue…. George Harrison attaque avec “Something”. Bobo panique, ne sait pas comment répliquer. U2 est K-O. Désolé les gars, mais le groupe de rock le plus important de l’Histoire, il ne peut y en avoir qu’un.


Second fight : U2 vs Radiohead. Ah, deux groupes dont le chanteur fait planer la voix dans les aigus, il y a moyen qu’ils parviennent à trouver un accord à l’amiable. Peut-être pas, tout compte fait… Pendant que Jonny Greenwood explique à un Le Bore fasciné tous les effets qu’il peut mettre dans sa guitare, Thom Yorke demande à jeter un œil aux partitions de Bobo. « Ce sont des gammes améliorées ? demande Thom intrigué. Où sont les partitions de vos morceaux ? ». Mal à l’aise, Bobo explique à Thom que contrairement à lui, il préfère rester dans la simplicité et ne pas embêter le public avec des compositions trop alambiquées. Il ajoute qu’il est fan de « Paranoid Android » parce que le clip ressemble à un dessin animé. Thom donne une tape amicale sur l’épaule de Bobo et retourne à des choses plus sérieuses. Pour faire du véritable rock alternatif, il faut le vouloir.


Troisième fight : U2 vs Pink Floyd. Aïe… U2 qui s’attaque à la musique de Pink Floyd, c’est un peu comme La Boule qui voudrait résoudre les énigmes du Père Fouras. C’est techniquement possible, mais on n’y croit pas trop. Etonné devant la longueur de certains morceaux de Pink Floyd, Bobo demande à Roger Waters à quel tempo ils jouent. « Mais il est con où quoi ? » se demande Waters avant de faire un signe à Rick Wright pour entamer « Echoes ». D’abord, Bobo ne comprend pas, se met à parler pendant le début du morceau. Puis il est tellement fasciné par cette musique qu’il oublie de contre-attaquer. En plus, il doit courir après Adam Clayton qui s’est enfui vexé parce que Bobo lui avait fait croire que c’est normal qu’on ne retienne jamais le nom des bassistes. Traumatisé par l’expérience Pink Floyd, Bobo décide de ne plus écouter ce groupe dangereux pour sa zone de confort.


Quatrième fight : U2 vs Led Zeppelin. Fatigué des trois affrontements précédents, Le Bore réussit à convaincre Bobo de déclarer forfait dès les premières secondes. Il a entendu le riff de « Black Dog », et la puissance déflagratrice qui s’en dégage l’a fait tomber par terre. Led Zeppelin avait encore une trentaine de bons morceaux à balancer dans la gueule de U2. Tant pis, ils gardent leurs munitions pour les prochains imprudents qui voudraient jouer aux durs. Le Bore, lui, écoute des cantiques de Noël pour se détendre. Quelques jours plus tard, Le Bore reçoit une lettre d’excuses signée Jimmy Page, dans un colis contenant une version vinyle de « Stairway to Heaven » et une notice expliquant comment on peut se montrer à la fois doux et dur dans le même morceau en restant cohérent.


Cinquième fight : U2 vs Bob Dylan. « Ah, se dit Bobo, voilà quelqu’un de sensible avec qui je vais pouvoir m’entendre. » Bob Dylan commence à jouer les morceaux folks de ses débuts et Bobo applaudit. « « Blowin’ in the Wind », c’est une chanson pacifique ? demande-t-il ému. Moi non plus, je n’aime pas la guerre. Ni tout ce qui se rapporte à la violence, d’ailleurs ». Et de se lancer dans une interprétation déchirante de « Sunday Bloody Sunday ». Bob Dylan hausse le sourcil puis commet une gaffe impardonnable lorsque Bobo chante « How long must we sing this song ? » Il croit que c’est une vraie question et répond que c’est bon, il en a assez entendu. Bobo s’en va en pleurant. Mais à quoi tu t’attendais, vieux, ce n’est pas à toi qu’on proposerait un Prix Nobel de littérature.


Sixième fight : U2 vs David Bowie. Bobo aime bien l’idée du « glam ». Lui aussi, il est glamour : la preuve, il invite régulièrement des spectatrices à s’allonger avec lui sur la scène pour regarder le ciel. Comment, ce n’est pas ça le glam rock ? Etonné, David Bowie lui explique que non, et que de toute façon cela fait longtemps qu’il ne pratique plus ce genre de musique. « Ah, mais attends David ! s’exclame Bobo. Moi aussi, j’ai fait des trucs avec des boîtes à rythme ». Et de balancer « Fly ». David Bowie renchérit : « Oui, Bobo. Moi aussi, il m’est arrivé de faire de la merde. » Bobo ressent une immense injustice et veut faire comprendre à David à quel point il est méchant. Mais David exige qu’on le laisse un peu tranquille maintenant qu’il est mort.


Septième fight : U2 vs Arcade Fire. Bobo a entendu parler de l’indie rock, et s’identifierait d’ailleurs volontiers aux termes « indépendant » et « rock ». Mais il se trompe dans la définition, confond « rock » et « variétoche », croit que l’indépendance se limite à la capacité de composer soi-même ses morceaux sans aller en prison. Du coup, difficile pour U2 de se frotter à un groupe comme Arcade Fire, car ils ne parlent pas le même langage. Après avoir écouté attentivement l’album Funeral, Bobo trouve que c’est pas mal mais qu’il manque un peu de peps. Les membres d’Arcade Fire se marrent bien : Bobo, Le Bore et leurs accompagnateurs n’ont pas remarqué que les balances étaient complètement déséquilibrées parce qu’une enceinte était débranchée.


Huitième fight : U2 vs Nirvana. Kurt Cobain voit venir U2 de loin, se demandant qui sont ces guignols qui voudraient lui apprendre le rock. Il décide de ne pas se montrer tendre avec eux et joue « Rape Me » en les fixant d’un regard torve. Bobo décide de rester quand même car, en courageux humaniste qu’il est, il n’abdiquera jamais devant la violence. U2 joue donc « Magnificent » en guise de talisman. Kurt Cobain se marre bien et demande à U2 quel genre de musique c’est. « Euh… pop-rock, je suppose, dit Bobo d’une petite voix. » « Ouais, c’est ça, répond Kurt. Nous, on a notre style. On fait du grunge et ça nous éclate. Tu veux être cool pour une fois ? Prends ta gratte électrique, mets la distorsion à fond et accompagne moi sur le refrain de « Come as You Are ». On va en faire une version un peu plus trash ». Bobo, malheureusement, est parti. A croire qu’il n’a pas envie d’être cool.


Neuvième fight : U2 vs The Rolling Stones. U2 pense que pour une fois, ils ont une chance face à ces papis qui n’ont rien fait de mémorable depuis 30 ans. Ils décident de jouer le gros jeu et sortent « One » en se disant qu’ils gagneront peut-être tout de suite par K-O. Les Rolling Stones n’en ont rien à foutre, ils jouent un petit « Sympathy for the Devil » pour se défouler. Bobo, qui commence à en avoir assez d’être toujours vaincu, trouve un refuge en discutant les règles du jeu. U2 a joué une chanson nostalgique, les Rolling Stones doivent répondre de la même manière. Bon joueur, Mick Jagger accepte. Après que les Stones aient joué « Lady Jane », Bobo s’incline dépité. Voilà le genre de mélodie qu’il avait toujours rêvé de trouver lui-même.


Dixième fight : U2 vs The Velvet Underground. Bobo et Le Bore ont toujours fait semblant d’aimer le Velvet Underground, parce que c’est un peu obligé dans leur métier. Mais au fond, ils ne comprennent pas l’intérêt de faire des morceaux aussi bizarres que « Venus in Furs », « Heroin » et « The Black Angel's Death Song ». En plus, ce n’est pas très moral tout ça… U2, au moins, est un groupe clean qui ne prend jamais de drogues et ne ressent pas la nécessiter de dissimuler son visage derrière des lunettes de soleil. Lou Reed, de son côté, ressent de la pitié pour Bobo et Le Bore. Ceux-ci ne connaîtront jamais l’ivresse de se montrer sulfureux et d’accomplir ce que personne d’autre n’avait osé expérimenter avant. U2 sera peut-être mentionné dans les livres d’histoire à propos des phénomènes de société ; The Velvet Underground figurera au chapitre de l’Art.


Onzième fight : U2 vs The Clash. Bobo déclare forfait. En effet, The Clash est selon lui le plus grand groupe de rock de l’histoire, et il n’y aurait pas eu U2 sans eux. S’il te plaît, Bobo, peux-tu recadrer ton batteur Larry ? Il a une version un peu différente de la tienne : « The Clash était le meilleur groupe au monde et ils auraient été plus grands que U2 sans aucun doute. ». Est-ce que le conditionnel signifie ce que je crois ? Explique donc à Larry que ce n’est pas parce que les Clash se sont séparés en 1985, que cela les disqualifie pour être meilleur que U2. Et London Calling, c’était quoi ? Un simple brouillon ? Non mais, quelle arrogance ! Rappelle aussi à ta boîte à rythmes, au cas où, que la grandeur d’un groupe ne se mesure pas au chiffre de ventes. Ensuite, explique-nous comment on fait pour trouver des influences punk dans ta musique, parce que ça ne saute pas aux oreilles.


Douzième fight : U2 vs Pixies. Cette fois, c’est Bobo lui-même qui fait preuve d’un paternalisme éhonté. « Continuez comme ça. Nous adorons ce que vous faites », dit-il aux Pixies comme s’il s’adressait à des rockeurs de seconde zone. Garçon, on ne parle pas ainsi au groupe de rock alternatif le plus influent de l’histoire. Kurt Cobain confie avoir tout pompé sur les Pixies, Thom Yorke refuse que les Pixies passent en première partie de Radiohead par humilité ; et toi, qui es pourtant beaucoup moins doué que les deux artistes susnommés, croies judicieux d’adresser aux Pixies un signe d’encouragement. Tu piges l’erreur ? Attends un peu que les Pixies règlent le malentendu. « Break My Body », « Where Is My Mind? », « Here Comes Your Man »… Les gars, vous avez l’embarras du choix pour envoyer Bobo dans les choux !


Treizième fight : U2 vs The Smiths. Encore un groupe pour lequel Bobo éprouve un amour à sens unique… On en aurait presque pitié. Si Morrissey et ses fans ne peuvent pas saquer U2, c’est peut-être qu’ils ont l’impression que le groupe de Bobo représente une imposture scandaleuse. Les mauvaises langues soutiendront cette théorie en rappelant que Bobo s’est présenté comme guitariste, alors qu’il n’avait encore jamais touché à cet instrument, pour être recruté par Adam Clayton et Larry Mullen en 1976. C’est la personnalité de Bobo qui lui a permis de devenir le chanteur de U2. Est-ce que sa personnalité lui permettra de surpasser la texture sonore et les trouvailles mélodiques des Smiths ? Il ne faut pas non plus rêver…


Quatorzième fight : U2 vs The Who. Bobo, qui a décidément beaucoup de modèles, monte sur le ring mais en reste au stade de la révérence. Pete Townshend n’est pas du genre à se défiler et attaque avec « Baba O’Riley ». Intéressé par le son de ce morceau, Le Bore monte à son tour sur le ring. « Nous aussi, on a trouvé des sonorités sympas… Ecoutez ça ! ». U2 joue alors « Where the Streets Have No Name». Voyant qu’ils ont affaire à des gentils, The Who renonce à les contrarier avec un violent « My Generation » et préfère rester dans le registre de la douceur. U2 est obligé d’abdiquer à l’écoute de « Behind Blue Eyes ». Sur le solo de guitare, Le Bore prend des notes.


Quinzième fight : U2 vs U2. « Mais je ne comprends pas… dit Bobo. On ne va quand même pas se battre contre nous-mêmes, si ? » Ben si, vieux. L’idée, quand tu fais partie des artistes les plus renommés de la musique, c’est d’être toujours meilleur que tu ne l’étais avant. Ou, si ce n’est pas possible, d’essayer au moins d’être plus inventif en explorant de nouveaux horizons. C’est dommage d’avoir abandonné depuis un moment. On pourrait presque croire que tu n’es que l’ombre de toi-même et que tu surfes sur un succès déjà acquis. Entre nous : Songs of Innocence, c’est un fond de tiroir ou tu y croyais vraiment ?


Seizième fight : U2 vs The Beach Boys. Les Américains interprètent « Surfin’ Safari », « Surfin U.S.A. », « Catch a Wave »… Cela amuse beaucoup notre ami Bobo, qui se croit obligé de secouer la tête pour montrer qu’il est dans le rythme. « Bon, les gars, vous êtes bien gentils, mais vous n’en avez pas marre de parler de surf dans la moitié de vos chansons ? » Blessés dans leur essence, les Beach Boys demandent à U2 ce qu’ils ont à proposer de si profond. Bobo fait un signe du menton à Le Bore pour interpréter « With or Without You ». Il voit cela comme un coup de grâce, mais c’est plutôt un cadeau. En effet, les Beach Boys n’ont qu’à répondre avec « God Only Knows » pour les terrasser. Quitte à écrire une chanson d’amour qu’on entendra partout, autant que ce soit un chef d’œuvre.


Dix-septième fight : U2 vs Jimi Hendrix. Le Bore a peur, il ne veut pas entrer dans l’arène. « Protège-moi, Bobo. Le monsieur avec une sacrée touffe, là-bas, fait des choses étranges avec sa guitare. On dirait que ses doigts sont manipulés par Dieu. » Impressionné par cette référence à l’Etre Suprême, Bobo s’approche pour examiner le spécimen. D’un commun accord, les membres de U2 décident de renoncer au combat et envoient Adam porter le message à Jimi Hendrix. Le Bore s’en voudra pour cette lâcheté, mais Bobo le consolera : apprendre les gammes de blues et s’entraîner à jouer des solos épiques, cela demande de la patience. Pourquoi toujours se compliquer l’existence?


Dix-huitième fight : U2 vs Neil Young. Cela commence par un débat sur le thème « pour ou contre les tsunamis », qui ne tarde pas à parvenir à un point d’entente. U2 essaie d’impressionner Neil Young avec le listing de toutes ses actions de charité. Le Canadien, cependant, ne se laisse pas faire : « Moi, j’ai composé un album entier contre Monsanto. Et vous, il parle de quoi votre dernier album ? ». Bobo sent que jouer au héros des luttes sociales n’est pas à son avantage. Il tente de se faire oublier dans la furie de « Pride (In the Name of Love) ». Neil Young préfère rester dans la sobriété et cloue définitivement le bec à Bono en enchaînant « Harvest », « After the Gold Rush » et « Heart of Gold ».


Dix-neuvième fight : U2 vs Bruce Springsteen. Au départ, le combat est serré parce que Bruce Springsteen adopte une mauvaise stratégie en jouant des morceaux de l’album Born in the U.S.A. Du coup, U2 est ravi de pouvoir répliquer avec des morceaux de Boy. Mais bien vite, le Boss se rend compte qu’il s’est trompé et que l’album à utiliser était Born to Run. L’interprétation du morceau éponyme est si intense que Bobo commence à l’avoir mauvaise. Il s’en prend à Le Bore : « Et toi, pourquoi tu ne mets pas plein d’instruments stylés dans nos morceaux, comme lui ? Tu n’es pas censé prendre soin de notre son ? ». Bobo va se confesser le lendemain au sujet de ce péché de colère.


Vingtième fight : U2 vs The Doors. Bobo sait que c’est le dernier match et il veut mettre toutes les chances de son côté pour le remporter. Il demande donc aux autres de s’en aller et de le laisser combattre a capella. Personne n’accepte et Bobo renonce à son idée car il n’aime pas la conflictualité. U2 devra cependant se passer de Le Bore, qui demeure inutilement bouche-bée à la vue d’un Ray Manzarek jouant du synthé à toute allure avec ses dix doigts. Puis Jim Morrison demande à Bobo « ce qu’il aime prendre », et Bobo répond qu’il aime bien la grenadine. Sur ce malentendu, les Doors interprètent « Break on Through » puis « Riders on the Storm ». Dommage que Bobo n’écoute pas.


U2 a perdu ses 20 matchs et doit admettre que sa place dans cette arène est illégitime. Mais comme ce sont de vaillants bonhommes, ils n’abandonnent pas pour autant et décident de continuer à affronter les artistes de la liste de Besteveralbums jusqu’à ce qu’ils trouvent des adversaires à leur taille. Par chance, ils tombent sur un groupe du nom d’Oasis figurant en 23ème position. Ce groupe est si faible que U2 remporte le match. Ragaillardis par cette première victoire, ils poursuivent leurs efforts de légitimation. Hélas pour eux, ils continuent de se prendre de cinglantes déculottées, et rares sont les combats qu’ils parviennent à remporter parmi les centaines de suivants. Las de dégringoler toujours plus de leur piédestal, ils finissent par abdiquer.


Maintenant, je pense avoir trouvé la réponse à ma question. Si je n’aime pas U2, ce n’est pas parce qu’ils font de la merde ; d’ailleurs, certains de leurs titres sont plutôt agréables à écouter. Si je n’aime pas U2, c’est parce que leur musique est banale, commerciale et peu aventureuse. Surtout, ma petite expérience a permis de s’apercevoir qu’ils sont surestimés. Difficile d’établir qu’un artiste est surestimé en soi, mais en tout cas, U2 est surestimé par rapport aux autres artistes considérés comme les meilleurs de l’histoire. Ceux-là ont vraiment quelque chose d’exceptionnel. Pratiquement tous sont l’incarnation d’un style : beat music, rock progressif, rock alternatif, punk rock, grunge, folk, rock psychédélique… De quoi U2 est-il l’incarnation, si ce n’est du « rock commercial » ?



The Joshua Tree en tant que tel



Essayons, à présent que nous avons descendu U2 de leur piédestal, de redécouvrir leur musique avec bienveillance et sans les comparer avec d’autres groupes. Pour cela, choisissons un album que les fans apprécient particulièrement. Certains citent Achtung Baby ou Zooreupa comme le meilleur ; mais l'album qui revient le plus souvent est sans doute The Joshua Tree. Cela tombe bien, car c'est aussi mon "préféré" parmi les albums de U2 que j'ai écoutés jusque-là. Afin d'alimenter cette chronique et de ne pas la réduire à une attaque gratuite envers le groupe, je vais donc écouter The Joshua Tree pour la n-ième fois, sans me faire d'illusions mais en tâchant d'identifier ce qui m'empêche d'adhérer au culte.


Soulignons d’abord les points positifs. Les efforts indéniables du groupe, l’habileté vocale de Bobo, quelques bonnes trouvailles sonores de Le Bore et la beauté qui se dégage de certains titres m’empêchent d’attribuer moins que la moyenne à The Joshua Tree. Si on peut reprocher à U2 d’avoir opté pour une forme de facilité mal calculée en plaçant ses trois tubes au début de l’album, il faut reconnaître que « Where the Streets Have No Name » est un bon morceau d’ouverture, qui nous fait entrer progressivement dans l’univers du groupe au gré de sa montée en puissance. Puis vient « I Still Haven’t Found What I’m Looking For », plus directe et entraînante, qui offre un contrepoint intéressant au morceau précédent. Le meilleur de l’album apparaît un peu plus loin avec « Running to Stand Hill », morceau épuré et mélancolique sur le mode piano/voix. C’est peut-être quand U2 fait dans la sobriété que l’on peut le plus apprécier ses talents en composition.


Maintenant, ce n’est pas parce qu’un groupe a du talent que celui-ci est bien employé, et a fortiori maintenu sur un album entier. Le son réputé « unique » de U2 ne tarde pas à montrer ses limites. A cause de son incapacité technique à se mettre en avant par des solos et des riffs accrocheurs comme le font normalement les guitaristes du rock, Le Bore reste cantonné à son rôle d’artisan atmosphérique, faisant in fine reposer la réussite des morceaux sur le chant. Les émotions à l’authenticité douteuse qui sortent du coffre de Bobo meublent donc l’espace sonore dans des élans poussifs et lassants. Les résonnances de guitare accompagnent le chant comme arrière-plans pas toujours adéquats, quand elles n’arrivent pas comme des cheveux sur la soupe. La batterie fait son job sans débordements. Occasionnellement la basse ou le synthé sont à l’honneur, mais là encore, on ne va jamais bien loin en termes de virtuosité. Les bonnes trouvailles sont surexploitées. Misant tout sur une ligne de refrain accrocheuse, des morceaux comme « In God’s Country » ou « One Tree Hill » s’avèrent finalement bien creux.


L’incorporation d’éléments issus d’autres horizons musicaux, comme le blues et le folk, est une habile caution artistique qui ne doit pas nous faire oublier que The Joshua Tree reste fondamentalement un album de pop rock qui tire vers la tendance la plus commerciale de ce genre. L’album semble destiné à plaire aux amateurs de rock alternatif comme au grand public, et c’est peut-être cela au fond qui le disqualifie. Pour construire une œuvre d’art authentique, il ne faut pas chercher à plaire au plus grand nombre mais plutôt à aller au bout de soi, à pousser l’inspiration dans ses derniers retranchements. Or, il me semble que U2 se fourvoie dans un excès de simplicité qui va de pair avec un manque de courage artistique. Outre une sonorité légèrement sirupeuse qui se retrouve fréquemment sur les musiques commerciales, The Joshua Tree transpire trop souvent d’un tempérament lâche, consensuel, voire « formaté ». Le symbole de cette compromission est pour moi le célébrissime « With Or Without You », dans ses refrains répétitifs mais surtout dans son passage « Oooh oooh oooh » qui semble calibré pour capter l’attention de l’auditeur lambda sur les fréquences radio.


D'ailleurs, une petite recherche sur Wikipédia m'a fait découvrir que l'ambition commerciale de The Joshua Tree n'est pas qu'une impression. Ayant eu vent du rôle de Brian Eno dans la production de cet album, j'ai voulu en savoir davantage, me demandant dans quelle mesure celui-ci avait contribué à inventer le son de U2. Le rôle central d'Eno dans la sonorité de "With or Without You" à travers son utilisation du synthétiseur ne fut pas ma découverte la plus révélatrice. En effet, j'ai été stupéfait d'apprendre qu'après s'être payé les services indispensables d'Eno et de Daniel Lanois, U2 a suscité le mécontentement de ces deux braves hommes en faisant venir expressément un producteur du nom de Steve Lillywhite qui avait déjà travaillé avec eux sur leurs trois premiers albums. La mission de Lillywhite était de remixer les morceaux afin de les rendre plus "attractifs" pour la radio... U2 place donc l'audience au top de ses priorités, c'est documenté.


En conclusion, The Joshua Tree n’est pas un mauvais album mais plutôt une déception. Certains seront appâtés par la voix de Bobo, d’autres intrigués par le design sonore imaginé par Le Bore et le tandem de producteurs Eno/Lanois. Ces deux éléments ne masquent qu’un temps la supercherie d’un groupe qui, sachant bien masquer ses faiblesses en termes de maîtrise technique des instruments, met ses talents de compositeurs et ses qualités extra-musicales au service d’un rock superficiel, destiné à fédérer plutôt qu’à se démarquer. U2, c’est un peu au rock ce que la vache qui rit est au fromage : ça passe, mais la saveur est factice. Sorti dans une période charnière entre le déclin du post-punk et les débuts du rock alternatif, The Joshua Tree sera donc à juste raison boudé par les amateurs de rock, qui n’y verront qu’un album consensuel dont l’efficacité lui a permis de remporter l’unanimité des suffrages plus facilement que des œuvres plus underground.


P.S. Désolé si j’ai mal orthographié le nom de Bono et traduit celui de The Edge. Il faut dire qu’ils ont des noms un peu compliqués, à l’image de leur musique. D’ailleurs, le nom qu’ils ont choisi pour leur groupe est impardonnable. A cause d’eux, répondre à un « I Love You » est devenu gênant.


P.P.S. Trois ans après cette chronique, je viens d'écouter l'album Boy et j'aime beaucoup ! Ils ne donnaient pas encore trop dans le lourdingue à l'époque.

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le 9 févr. 2016

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