My God is Blue de Sébastien Tellier et The Money Store de Death Grips ne sont pas les meilleurs disques du moment. Mais ils sont certainement ce que l’on a entendu de plus déroutant depuis le début de cette année. Dans les faits ces artistes dessinent, dans des style bien distincts (pop électro symphonique pour le premier, hip-hop punkéisé pour les seconds), une carte de leur folie. Une folie au départ rebutante, mais qui se révèle au final très communicative.
Ce qui marque d’emblée chez Death Grips et Sébastien Tellier, c’est leur marginalité. Cela se traduit dans The Money Store par une grande agressivité, que ce soit dans le chant, à mi-chemin entre le nihilisme punk et la scansion du rap, ou les arrangements, synthétiques et volontiers lo-fi, imprévisibles. La musique de ce trio américain est celle des excès. Leur folie est dangereuse, en opposition à celle de Sébastien Tellier qui elle est douce et apaisée. My God is Blue semble aux premières écoutes un grand fourre-tout langoureux et pseudo-mystique, où la seule loi semble être de faire n’importe quoi pour mieux se faire entendre. En résumé, si la folie de Death Grips se construit sur l’uppercut et l’hystérie, celle de Tellier est plus sinueuse et joue plutôt sur la séduction tranquille.
Les écoutes répétées de My God is Blue laissent advenir un sentiment étrange, partagé entre l’amusement (des paroles vraiment pas possibles, des partis-pris de production très kistch) et le respect. Le respect face à une forme de beauté qui s’invite de manière souvent inattendue. Via une vraie maîtrise instrumentale d’abord (les soli superbes de « Draw your World » et « Yes, it’s Possible » font du bien, des orchestres fiers donnent du corps aux chansons). Via une croyance sans faille dans son propre délire ensuite. Tellier ose tout : chœurs ronflants, guitares qui dégoulinent, beats langoureux voire lourdauds, grandiloquence… En prenant le risque que son lyrisme secoué soit estampillé toc. Cette absence de peur face aux règles établies de la chanson (schéma immuable couplet-refrain-pont, paroles fréquemment ancrées dans le quotidien, production lisse), est finalement séduisante, déterminante. La bravoure aveugle de Tellier emporte le morceau après un premier contact qui en laissera plus d’un dubitatif.
La frénésie de Death Grips est d’abord franchement rebutante. Jamais punk n’a semblé aussi robotique, déshumanisé, jamais hip-hop n’a semblé aussi sale. De basses souterraines en boucles mélodiques dance hallucinées (« Hustle Bones », « The Cage »), de rythmes furieux en refrains rageurs (« I’ve seen Footage », vrai-faux single de l’album ?), le nouveau projet du trublion Zach Hill, batteur de son état original, est assommant, c’est vrai. Mais il est surtout réjouissant dans sa manière d’asséner ses chansons comme des coups de massue, à toute berzingue et sans le moindre égard vis-à-vis de ceux qui l’entourent (l’écoutent). Stefan Burnett, chanteur tatoué-rasé-barbu, joue admirablement le rôle du dément qui s’est libéré de sa camisole de force. Derrière, les forces musicales de Zach Hill et Andy Morin (aux claviers) se percutent comme des électrons libres venant d’univers tous différents (électronique, hip-hop donc, mais aussi métal, musique du monde ou bien techno hardcore). Et finalement, si l’on prend la peine de laisser ses repères de côté, la folie du trio nous saisit. Et il y a quelque chose d’assez jouissif dans le fait de perdre le contrôle avec eux, de se sentir aussi fous que les membres de Death Grips.
Voilà des artistes qui ont su, en faisant preuve d’une grande extravagance, brutale d’un côté, new-age de l’autre, nous entraîner dans le sillon de leur monde de dingos. C’est une expérience assez inédite pour des genres aussi souvent balisés que la pop et le hip-hop, et rien que pour cela, on peut leur tirer un grand coup de chapeau.