Une des figures les plus influentes de la scène prog contemporaine, Steven Wilson, revient en 2013 avec un nouvel album solo. On appréciait Porcupine Tree pour la richesse de ses influences et des genres investis, ses collaborations avec Opeth ou Mikael Akerfeldt étaient toutes extrêmement fructueuses (le génial "Storm Corrosion" l'an passé) et ses albums reflétaient eux un univers tout personnel et bien différent, calme, sombre, constitué de longues nappes de synthé et de bruit blanc sur lesquels flottait sa voix éthérée. "Insurgentes" ou "Grace for the Drowning" n'étaient pas des albums accessibles et à mettre entre toutes les mains, que fallait-il attendre du nouveau venu, "The Raven That Refused to Sing (and Other Stories)" ? Quelques mots du titre, déjà, et de l'inspiration globale de l'album. Il est ici question de contes, et surtout d'un corbeau. Oiseau qui évoque immédiatement le souvenir d'Edgar Allan Poe et de son poème le plus célèbre. Wilson prétend donc nous conter ici les aventures d'un corbeau, qui, à l'inverse de son homonyme Poeien, refuse de chanter. On attend quelque chose de sombre et tourmenté, moins sarcastique que le poème qui est peut-être à la source de tout ceci. On attend également un disque disparate et non conceptuel, constitué de plusieurs vignettes indépendantes - c'est en effet le cas. Et pas étonnant qu'Alan Parsons soit ici aux commandes du mixage : on lui doit un des chefs d'oeuvre du prog, le "Dark Side of the Moon" des Pink Floyd, et le premier album de son groupe The Alan Parsons Project était justement une variation... autour des contes d'Edgar Poe. La boucle est bouclée.
Que nous sert-on donc dans ce nouveau disque de Wilson ? Le constat est simple, le musicien quitte pour un temps les univers les plus désespérés qu'il a fréquentés. L'album est résolument tourné vers les années 70's et le prog à l'ancienne, bien chaud, bien complexe, et traversé tout de même de nuances plus sombres. Trois influences majeures à noter sur le disque pour son ensemble : King Crimson, évidemment ici la figure tutélaire du disque, par l'instrumentation, la présence de la basse et les composition tortueuses. Mais aussi Jethro Tull qui semble avoir influencé quelques mélodies à la flûte, et enfin Yes, pour le côté prog jusqu'au-boutiste du disque. Mais fi de ces influences, qui quoique certaines, n'en enlèvent rien à l'originalité et au style imparable de Wilson ici à l'œuvre.
L'album ouvre donc sur ce qui est pour l'instant le titre que je préfère et que je trouve le plus marquant, "Luminol". C'est le titre le plus long du disque, le plus varié, le plus riche et le plus complexe. Et, comme son nom l'indique, il est ben plus "lumineux" que ce à quoi nous a habitué le compositeur. Soit une ligne de basse proprement monstrueuse, ronflante, entêtante, extrêmement mise en avant par la production de Parsons, et sur laquelle repose intégralement toute la construction de la première partie du morceau. Autres éléments moteurs marquants, l'utilisation des instruments à vent, saxophone et flûte, joués avec beaucoup de talent par Theo Travis, musicien de studio que l'on trouve chez Wilson, Gong, Fripp ou Porcupine Tree. Il va de soi que les morceaux comportent des longues plages instrumentales où se déploie la virtuosité de composition et de technique des musiciens. Le plus court "Drive Home" est une jolie ballade, tout en claviers et guitares sèches, qui évoque énormément "Damnation" d'Opeth. "The Holy Drinker", avec ses claviers staccato et ses gros riffs de guitare, évoque le prog chaud bouillant d'un "Heritage" ou de "The Lotus Eater", où l'on voit que Wilson s'attarde sur les sonorités de ses collaborations plutôt que sur son univers personnel habituel. Le court "The Pin Drop" est un morceau symétrique, où deux parties contrastantes sont reprises et variées, pour une facture très classic prog. Morceau plus complexe, "The Watchmaker" démarre comme une ballade piano et guitare mais suit ensuite un crescendo en deux temps où l'on retrouve une flûte très Jethro Tullienne, mais surtout des mélodies directement tirées de Pink Floyd (écoutez ça et puis "Shine on You Crazy Diamond", vous verrez). C'est tellement flagrant que ce ne peut être qu'un brillant hommage d'un musicien à ses racines. La deuxième partie du crescendo est elle bien plus personnelle. Une jolie réussite. S'il fallait citer une influence quelconque pour la dernière chanson de l'album, qui lui donne son nom, ce serait sûrement Radiohead. "The Raven That Refused To Sing" est la chanson la plus triste du disque et contraste fortement avec "Luminol". Construite sur une mélodie à 4 notes de piano répétée obsessivement mais avec des variations, la première partie du morceau, plaintive, évoque le groupe de Thom Yorke. Le final, plus orchestral, est en revanche typiquement Wilsonien.
Côté contenu des différentes versions de l'album, vous trouverez dans la plus complète édition un deuxième CD de démos, un ou deux DVD/Blu-ray de versions alternatives, instrumentales et en 5.1 de l'album. Sont aussi présents pour les plus riches ou les plus accros un livret magnifique de 128 pages avec des histoires (!) inédites liées aux thèmes de l'album et des illustrations superbes dans la lignée de l'artwork, qui évoque une version inquiète et grimaçante du "Voyage dans la Lune" de Méliès.
En somme, un disque extrêmement fouillé, cohérent et qui s'annonce comme une des meilleures productions du genre pour l'année à venir.