Je suis devenu un peu las des critiques d'albums sur internet. Les avis des chroniqueurs ne sont pas seulement subjectifs, mais complètement vides de tout argument. "Il manque quelque chose", "ce riff est nul, pas inspiré". Non. On ne peut pas descendre un album comme ça. Il convient de mettre le doigt sur ce qui déplaît dans cette œuvre. Et c'est donc pour cette raison que je vais défendre bec et ongles cet album. Essayer de comprendre ce que Behemoth tente de dire avant de penser à mon propre avis. Tout ce que je vais dire sera bien évidemment de l'ordre de l'interprétation, mais j'essayerai d'étayer ma thèse d'arguments réels. Avant de commencer, les défauts de l'album sont peut être d'avoir déçu certains fans par une légère accalmie dans la violence, qui était marque de fabrique du groupe. Behemoth s'est fait plus mélodique. Ensuite, dernière chose. Le titre, un peu trop franc chez un groupe qui nous avait habitués à nous faire rêver par un simple titre.
The Satanist est une croisade. Presque un voyage initiatique. Mais alors qu'un voyage initiatique repose sur la découverte par le personnage d'une nouvelle façon de voir la vie. The Satanist est étrangement statique. C'est un album sur la croisade d'un homme à la foi profonde en le satanisme, qui découvrira la vérité réelle de sa foi. L'album s'ouvre sur des morceaux de black ancré dans la tradition européenne, alors que notre prêtre noir célèbre son culte dans les caves crasseuses de la Pologne moyenâgeuse. Souffle tes trompettes Gabriel. La fureur divine. Et la réponse à cette fureur. La messe noire. Qui débute par ce grand "I BELIEVE IN SATAN". Presque une parodie. Notre prêtre s'affirme via son culte sataniste, dans un contexte hostile. Et c'est dans "Messe Noire" que surgit un premier solo d'un optimisme étrange pour Behemoth. L'homme est en terrain conquis.
Puis vient "Ora Pro Nobis Lucifer". Et c'est l'instant où Le Sataniste se met en route. Cavalcade folle à travers les forêts enneigées, elle transmet le moment où le Sataniste prend sa route. Il fuira le monde d'où il vient pour trouver ses réponses. Et répandre sa foi. La chanson s'offre d'ailleurs un passage très conquérant. Selon moi Ora Pro Nobis Lucifer est le premier coup d'éclat de l'album, traduction parfaite d'une conquête forcenée, d'une course entre le sataniste, les loups des bois et les chrétiens mis sur sa route.
"Amen". Immense tempête. Morceau brutal. Ça ce n'est pas "Messe Noire". On retrouve ici le metal bruitiste, charnu, presque abstrait, de Behemoth. Presque statique dans sa violence sans relief. Le Sataniste prie pour la destruction totale par laquelle viendra un jour nouveau. Des percussion presque tribales émergent. Percussions qui représentent la marque de ce qui rends Behemoth si ancien, rude, mystique.
"The Satanist" est une nouvelle étape du voyage de notre prêtre des enfers. Les guitares se font plus douces, insidieuses. Vecteurs d'une atmosphère puante. Le sataniste affûte ses armes, les faisant de plus en plus fines. Ici est à l’œuvre un lent complot pour établir cette vision du monde encore contrainte à ramper dans le noir. Pour une fois le refrain se fait franchement fédérateur, séduisant. Nergal nous le confie même. "I am yours, in euphoria below". Les trompettes de "Blow your trumpets Gabriel" reviennent s'offrir une petite apparition.
Quand voilà "Ben Sahar"! Comment ne pas comprendre en lisant ce titre que "The Satanist" est un voyage? L'ouverture atmosphérique, évoquant les port d'Égypte, la chaleur, le sable. Là ou la marche militaire ne s'offrait que quelques éclats dans les morceaux précédents, ici elle couvre des couplets entiers. Des riffs atmosphériques ouvrent leurs ailes sur un désert doré ou rampe l'ombre noire d'un sataniste qui sent qu'il touche au but. Les percussions se font plus aérées, les textures se chargent, miroir de la grandeur des paysages désertiques.
"In The absence Ov Light" revient alors nous assaillir de riffs compressés et de rythmiques épileptiques. Ici "The Satanist" révèle une autre de ces propriétés. Le dualisme. Comme si les parties plus violentes et saturées alternaient avec les ouvertures atmosphériques. D'abord à l'échelle de l'album, mais aussi dans "In the absence ov light" lui même. Repos. Douleur. Progression. Le morceau s'achève d'ailleurs sur un gigantesque battement binaire. Comme les marteaux mécaniques d'un temple mésopotamien, mus par une magie incompréhensible. Ou bien le cœur d'une bête énorme cachée dans les souterrains.
Quand vient enfin, l'heure de la révélation. Le moment où le sataniste atteint la fin de son voyage. Des steppes du nord jusqu'à la chaleur étouffante des déserts du sud. "O Father, O Satan, O Sun" est selon moi un des morceaux les plus épiques jamais produits. Ici, Behemoth a raison. Tout ce pour quoi le Sataniste s'est battu au cours de ses aventures prends ici toute la vérité et convainc même les plus sceptiques. Ici la marche militaire s'assume, la voix de Nergal se fait surhumaine, d'une puissance sans précédent. Est-ce juste lui, ou tous ses fidèles qui hurlent d'une même voix? Quand les chœurs religieux se lient avec la voix de Nergal, on sent que rien n'arrêtera la procession. Le Sataniste est devenu un mythe. Guerrier cosmique venu s'emparer de la flamme des dieux pour s'en servir à ses propres fins. Et les percussions lourdes, les arrangements pleins de poussière de sable mettent à merveille en valeur cet événement dont l'échelle dépasse largement la taille des humains.
Après une courte tempête, vient une des atmosphères les plus étouffantes que Behemoth ait jamais produit. Lente, insidieuse, mais énorme. Nergal prie. Dans cet air saturé d'or et de courant contraires. Nergal prie. Il prie d'une voix écorchée, pleine de dévotion complète à sa cause. Comme si le Sataniste prenait une nouvelle conscience de la vérité d'un culte auquel il a voué sa vie.
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