Nergal, charismatique leader de Behemoth, n’est définitivement pas quelqu’un que l’on pourrait qualifier de modéré. Déchirant une bible sur scène pour protester contre la toute-puissance de l’église catholique dans sa Pologne natale, ce qui lui valut un procès dont il n’est toujours pas sorti, il nous propose cette année un album au titre évocateur : The Satanist, ajoutant à la provocation un aspect encore plus extrême en donnant au peintre à l’origine de l’illustration un peu de son sang à mélanger aux pigments. Mais plutôt que de voir cet album à travers le prisme de la religion, il faudrait plutôt le voir comme l’oeuvre d’un homme qui a profondément changé.
En effet, depuis sa leucémie qui faillit le tuer en 2011, et à laquelle il ne survécut que grâce à un don de moelle osseuse, Nergal apparait comme un homme transformé. Et cela se ressent totalement dans sa musique, en proposant son oeuvre la plus musicale de sa carrière, et ce dès l’introduction de Blow Your Trumpets Gabriel, où l’oeuvre s’ouvre de façon majestueuse avant que Nergal ne se mette à s’exprimer de sa voix rauque. De même que l’archange Gabriel devait annoncer la seconde venue du Seigneur, Nergal apparait comme revenu d’entre les morts et plus vivant que jamais, délivrant une performance spectaculaire. Mais le changement le plus marquant est constitué par tout ce que l’on n’avait pas l’habitude d’entendre dans du metal extreme : les choeurs du morceau The Satanist ou de O Father O Satan O Sun !, la guitare acoustique et vaguement orientalisante de l’intro de Ben Sahar, ou celle présente sur In The Absence ov Light, ou encore le travail sur la batterie dans le morceau Amen, qui donne à l’auditeur l’impression d’être entouré par la violence du groupe. Car The Satanist est un album extrêmement bien produit, tout particulièrement pour un album de metal extrême. Il y a un soin apporté au détail sur cet album, sur Ora Pro Nobis Lucifer notamment, qui surprend toujours. Et tous les instruments sont audibles, ne sombrant pas dans la bouillie sonore que l’on a pu connaitre autrefois.
Mais là ou The Satanist étonne vraiment, c’est dans la créativité de Behemoth : les morceaux sont variés et ont chacun un élément intéressant, du splendide solo de Messe Noire aux montées de Ora Pro Nobis Lucifer, en passant par le passage parlé de In The Absence of Light. Mais la meilleure reste O Father O Satan O Sun !, qui termine l’album de la meilleure des façons possibles, entre les ténèbres des riffs démentiels des deux guitaristes et l’éclat lumineux des choeurs ou du chant de Nergal dédoublé en voix claire. Enfin, sur une montée monumentale, la voix de Nergal explose en un dernier “Cry aloud!
Whirl the wheel, O my Father, O Satan, O Sun!”, le morceau se terminant sur un dernier air au violon. Au niveau lyrical, Behemoth y va très fort dès le premier morceau : “I saw the virgin’s cunt spawning forth the snake”, annonçant la tendance : oui, les paroles de ce dixième album sont toujours blasphématoires.
Seulement, réduire cet album à un brûlot satanique serait occulter toute une partie de la signification et de la puissance de l’oeuvre d’art que Behemoth a produit, considérée par Nergal comme son oeuvre ultime. Car elle ne combat le christianisme que comme un dogme établi, imposé : Blow Your Trumpets Gabriel est ainsi à prendre comme un hymne à la révolte contre les conventions sociales qui entravent la liberté des hommes, dans la ligne droite de la défense de Nergal lors de son procès, arguant de la liberté artistique, et déclarant de façon plus générale que la liberté d’expression devrait passer avant la religion en Pologne. De même, le passage parlé de In The Absence of Light est caractéristique de la position de l’artiste, avec cet extrait d’une oeuvre de Witold Gombrowicz : “Je ne crois en aucune abstraction… Je ne crois en Dieu pas plus qu’en un esprit… Assez avec ces dieux. Donnez moi un homme.”. Plutôt que de passer par la religion, Nergal propose donc à l’homme de faire usage de sa liberté, et déclare lui même ne pas vouloir donner de solutions au travers de Behemoth.
Le groupe propose donc avec The Satanist une oeuvre magnifique, qui brise les repères classiquement associés au metal extreme pour construire quelque chose de novateur. Nergal, quasi-miraculé, en rejette d’autant plus vigoureusement la religion pour depuis plutôt remercier son donneur, et insister sur ce que l’homme libre peut accomplir. Loin d’être sataniste, il est par contre sans aucun doute humaniste.
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