Il est toujours très intéressant de pouvoir reparler d’un album des années plus tard, pouvoir le comparer aux autres albums d’un artiste, et même à la carrière de ce dernier.
Lorsque Eminem sort « The Slim Shady LP » en 1999, on imagine qu’il puisse se dire que ce sera son premier et peut-être dernier album en major. Sa seule chance de le sortir de la misère, lui, père d’une jeune fille de 3 ans, à la relation sentimentale tumultueuse et à la carrière professionnelle instable (« And I'm tired of being hired and fired the same day » (Et je suis fatigué d'être embauché et licencié dans la même journée) disait-il sur Rock Bottom). Marshall décide donc de tout lâcher sur cet album, tout ce qu’il a sur le cœur, toutes ses folies, et avec le recul, c’est sûrement son projet le plus riche en idées, et le plus personnel.
« My Name Is », 1er extrait et titre phare de l’album, est le parfait reflet du reste du projet ; des phases sur sa vie personnelle « since age twelve I felt like I'm someone else » (depuis que j’ai douze ans, je me sens comme si j’étais quelqu’un d’autre), les problèmes avec sa mère « I just found out my mom does more dope than I do » (je viens juste de découvrir que ma mère prend plus de drogue que moi), ou simplement des idées folles sorties sa tête dont lui seul a le secret « Extraterrestrial running over pedestrians, in a spaceship while they're screaming at me, "Let's just be friends!" » (un extraterrestre dans son vaisseau spatial courant après des piétons, alors qu’ils me crient « restons simplement amis »). Ce titre a parfaitement joué le rôle de rampe de lancement du projet.
Car « The Slim Shady LP » regorge d’idées toutes plus folles et géniales les unes que les autres ; l’excellent « Guilty Conscience » avec Dr Dre, dans lequel chacun joue le rôle de l’ange et du démon comme dans un dessin-animé, et doivent départager 3 situations, du braqueur de station essence, à l’homme trompé par sa femme en rentrant du travail, en passant par un jeune homme s’apprêtant à avoir une relation avec femme dont la jeunesse dépasse l’entendement.
« My Fault » ou l’histoire d’une jeune femme consommant trop de « mushrooms » (champignons hallucinogènes) à cause de Slim et ayant un mauvais trip. « Brain Damage » dans lequel Em’ raconte les violences qu’il a subi à l’école (allant même jusqu’à donner le véritable nom de son tortionnaire au début du deuxième couplet), et par sa mère. Ce titre est démonstratif des qualités d’écriture de Mathers, alternant de nombreuses fois entre la réalité glaçante « He banged my head against the urinal til he broke my nose » (il frappait ma tête contre l’urinoir jusqu’à briser mon nez), l’exagération volontaire quand il insinue que l’infirmière scolaire veut lui donner du travail à la maison supplémentaire au lieu « d’heures de retenue » car elle veut qu’il se fasse tabasser par ses camarades à la sortie, et même la folie fantaisiste « She beat me over the head with the remote control, opened a hole, and my whole brain fell out of my skull » (elle me frappait sur la tête jusqu’à la fissurer, et voir mon cerveau sortir de mon crâne).
Mais surtout, Eminem raconte son mal-être. « Rock Bottom » en est la meilleure illustration. Titre enregistré la veille du Battle qui le fit découvrir aux yeux de Jimmy Iovine, le président du label Interscope, qui par la suite le conseilla à Dr Dre, les paroles sont poignantes. Il parle notamment du manque d’argent qui ne lui permet pas de pouvoir assouvir aux besoins de sa fille « my daughter's down to her last diaper, that's got my ass hyper » (ma fille en est à sa dernière couche, ce qui me rend encore plus nerveux), la prise de médicament qui le rend plus dépressif qu’il ne l’est déjà « I'm popping perkasets, I'm a nervous wreck » (je prends des antidépresseurs, je suis à bout de nerfs ; quand on connait la suite de sa carrière, cette phase prend tout son sens). Sur « If I Had », il raconte tout ce qui le fatigue dans sa vie de tous les jours, de ses propres actes, à tous les manques matériels et sentimentaux qu'il subit. Et évidemment, comment ne pas parler de '97 Bonnie & Clyde, ce titre dans lequel Eminem convie sa fille Hailie à se débarrasser du corps de sa mère, en précisant par exemple que les tâches rouges sur ses vêtements ne sont que du ketchup.
The Slim Shady LP est un modèle d’écriture et de technique. La diversité des thèmes, la qualité des textes ainsi que des flows atteignent un niveau rarement atteint à l’époque. Malgré tout, cet album n’est pas parfait ; sa voix très nasillarde peut-être irritante, chacun aura son avis là-dessus, mais ce sont surtout les productions qui s’avèrent être un poil banales, très teinté ’90 et ayant un peu mal vieillies. On pourrait reprocher aussi le manque de titres fédérateurs ; si My Name Is remplit parfaitement son rôle, certains de ses albums postérieurs en comportent plus.
Ceci étant, Il s’agit de l’un des meilleurs albums d’Eminem, peut-être le mieux écrit, sûrement le plus riche en idées.