The Soft Parade
6.8
The Soft Parade

Album de The Doors (1969)

Sans doute les sessions d’enregistrement de « The Soft Parade » resteront dans l’histoire du rock comme faisant partie des plus apocalyptiques. Les trois musiciens collaborent, plus comme collègues que comme amis, contre leur propre leader qui devient un alcoolique historique (dans le sens où il a battu des records dans plusieurs bars), et surtout s’en désintéresse pour s’immerger dans la poésie aux côtés de beatnicks tout aussi paumés que lui. Plus rien n’ira mieux. Les chansons ne sont plus signées en collectif. Le producteur Rothchild ramène un orchestre pour trois-quatre morceaux, personne pour se dire « attends quoi, on n’était pas censé être blues/psyché à la base ? ». Et Dionysos, qui se reconvertit en Dieu de la Discorde, regarde son chaos donner naissance à cet album, en riant pendant plus d’un an. Jusqu’à ce que Morrison se venge de lui par le concert de Miami peu de temps après…
L’apport symphonique a été exagérément conspué : « Tell all the people », sans non plus être honteux, ne marche pas, notamment à cause de cuivres qui en font trop. Mais « Touch Me » est selon moi un des meilleurs morceaux des Doors, déjà grâce à l’orchestre qui soulève discrètement mais superbement cette belle mélodie, mais également car Manzareck fait battre le cœur même de la voix de Morrison, et cette accélération finale où Densmore essaie de provoquer l’arrêt cardiaque du groupe est si intense que rien ne semble pouvoir l’arrêter. Jusqu’à ce que Morrison cite une pub, ce qui n’est pas cool (t’inquiètes Krieger, elle déchire ta chanson). Oui, j’aime ce disque. Il a une personnalité unique, due à sa conception dans les flammes. Je pense que cette appréciation tient beaucoup aux inédites : « Who Scared You » possède un tonus du tonnerre et forniqué dans un second degré réjouissant, « Whiskey, Mystics and Men » est une des meilleures chansons à boire que je connaisse (les deux volets), et « Push Push » est dans la même veine mais en plus gaie. Les quatre sont existants surtout par l’impulsion de Morrison (la publication entravée par les trois autres membres du groupe du coup), puisqu’elles mettent en exergue sa désinvolture vis-à-vis de la musique et son alcoolisme avec un aplomb aérien. Mais même sans ces trois bonbons salés, l’album se tient très bien tout seul. « Shaman’s Blues » est un bref retour aux sources et sait en être digne, « Runnin Blue » est à la fois improbable, étonnant et excellent, et le final « The Soft Parade », le dernier morceau fleuve des Doors, m’a toujours passionné par ses structures complètement foutraques comme des cadavres exquis imprévisibles. Cependant, certains titres, comme « Do It » avec son peu de paroles et sa musique de tube déjà ringard, le ridicule « Easy Ride » ou l’oubliable « Winshful Sinful », sont de sérieuses taches dans la carrière de ce groupe. Ils restent minoritaires, comme pour « Waiting for the sun » ; mais sur les deux premiers disques, ils n’étaient pas des minorités mais des exceptions, et déjà le public de l’époque s’en était bien rendu compte.
La douce parade des Sixties repart, prête à enterrer ses rêves à paillettes, auxquelles Morrison n’a jamais cru. « Avec Morrison, j’ai perdu mon innocence », disait John Densmore. Il a vu arriver la mort de la figure de la rock star, qui ne survivra qu’à de rares occasions après les Seventies. Sans doute fallait-il forcer la douce parade à foncer dans un ravin et surgir sous une nouvelle forme pour qu’elle demeure dans les Seventies - c’est ce qu’on fait à leur manière Janis Joplin et Jimi Hendrix - ; ce saut dans le ravin, où l’on entend les chevaux pleurer une décennie folle à lier mais tellement vibrante, est représenté dans ce disque. Et « The Soft Parade » le fait en nous faisant un bras d’honneur avant de partir. Et Dionysos trinque avec l’auditeur du Futur.

Billy98
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le 27 déc. 2020

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