Seul en scène, un gamin de 23 ans à la voix fluette et au ton monocorde est posé sur une chaise. Le gamin joue d’une guitare sèche et d’un harmonica. Le gamin a écrit et composé ses morceaux. Le texte surprend, la voix détonne, le rythme et le refrain reviennent en boucle : "For the times they are a-changin". L’inspiration évangélique est assumée : « Et beaucoup de premiers seront derniers, et beaucoup de derniers premiers. » (Mathieu 10,31). L'interprétation envoutée et envoutante, la simplicité d’une cadence immuable et les propos messianiques transmuent la chanson en exhortation apocalyptique. Le temps des prophéties est revenu !
Nous sommes en 1964. Bob Dylan a triomphé l’année précédente avec Blowin' In The Wind. Or, rares sont les artistes à confirmer un premier succès. Le folk américain a hâte de découvrir son troisième album. Dylan est attendu, mais sa notoriété naissante est bâtie sur un malentendu. Sa compagne Joan Baez le pousse à endosser un rôle politique, à contester l’ordre public, à s’impliquer dans la lutte pour les droits civiques et contre la guerre du Viêt-Nam. S’il dénonce les injustices, Dylan récuse tout engagement, toute prise de responsabilité. S’il prophétise, ce n’est que de surcroît et qu’à son corps défendant. Il se refuse à décrire l’avenir, à donner ou transmettre des consignes. « Je ne veux plus écrire pour les gens, être un porte-parole. […] Je veux que mes textes viennent de l'intérieur de moi-même ».
Le gamin se veut barde, aède, troubadour, chantre, rapsode… Il publie ses premiers poèmes dans un encart inséré dans la pochette de The Times They Are A Changin’. Il y parle plus librement de lui-même, enchainant les allusions à la route et à la fuite :
« I am still runnin’ I guess
but my road has seen many changes
for I’ve served my time as a refugee
in mental terms an’ in physical terms
an’ many a fear has vanished
an’ many an attitude has fallen
an’ many a dream has faded
(…)I learned by now
never t’ expect
what it cannot give me »
(Extrait de “11 Outlined Epitaphs”)
La chanson titre de l’album se borne à peindre un vieux monde à l’agonie. Journalistes, critiques, hommes politiques et parents sont invités à ouvrir les yeux, sous peine d’être balayés. « Vous feriez bien de commencer à nager, Ou vous coulerez comme une pierre ». Notez qu’il leur accorde une dernière chance, celle de prendre le mouvement en marche. Son propos n’est ni révolutionnaire, ni même politique. Il ne dit pas que le futur sera meilleur, ni ce qu’il sera, constate seulement qu’il sera différent. « Et le présent d'aujourd'hui Sera demain le passé. » Si la jeunesse de l'époque en fit un hymne libertaire, c’est qu’elle croyait sincèrement que les choses allaient changer…en mieux. Heureux temps.
« The line it is drawn
The curse it is cast,
The slow one now will
Later be fast.
As the present now
Will later be past
The order is rapidly fading.
And the first one now
Will later be last
For the times they are a-changin'. »
PM Hugues Auffray a proposé en 1965 sa propre adaptation, qui ne démérite pas : Les temps changent.
"Admettez que, bientôt, vous serez submergés
Et que si vous valez la peine d'être sauvés,
Il est temps maintenant d'apprendre à nager
Car le monde et les temps changent."