- Des groupes appelés à devenir « grands » émergeaient alors : Kills, White Stripes, Strokes. Le succès pour les Black Keys n'arrive que plus tard avec le populaire « El Camino » sorti en 2011, plus pop, mieux produit, plus accessible aussi, peut-être.
Mais en 2003, les Black Keys, c'était quoi ? - c'était un truc un peu plus crade, plus cool, plus ouvertement blues, un truc bien huilé, doté de riffs garages, grésillants, saturés comme il faut mais dont la mélodie ressort assez distinctement. Le genre de disque dans l'ensemble assez léger malgré l'orchestration rock simpliste (mais efficace) qui pourra sembler par moments un peu balourde ou ubuesque : guitare qui fait le job mais sans le génie t'arrachant les poils des cuisses, batterie binaire.
Mais les véritables secrets de «Thickfreakness » sont moins à dénicher dans les "évidences" accrocheuses pour n'importe quel amateur de rock qui se respecte que dans la voix de Dan Auerbach, gorgée de soul, habitée, sans artifices. Ce bel organe hisse l'album au-dessus de ce qu'il aurait été si la voix du dit chanteur avait été banale et au passage, lui évite l'anonymat. Bien au contraire, le timbre de Dan, plaintif, authentique, "sudiste", rauque, et aussi peut-être, doté d'un grain légèrement "féminin" à l'opposé des canons du genre, apporte énormément et surpasse par sa beauté ce pourquoi, à la base, on écoute ce disque : le parfait riff rock. Mais bon, ...vu que l'ensemble fonctionne, et bien on ne crachera pas non plus sur ce fabuleux morceau, au début du disque, dont l'attrait tient pour beaucoup au riff saccadé, « cisaillé », comme "suffocant" (« Hard Row »). Evidemment taillé pour la route (la fenêtre ouverte, le coude qui ressort à l'air. Lunettes de soleil. Une clope pour les fumeurs...) ; « Set You Free » enchaîne sans convaincre autant que son prédécesseur, mais tient lui aussi la route (on tape alors sur son volant au rythme de la batterie). « Midnight In Her Eyes » rattrape le coup, et les morceaux suivants (« Have Love Will Travel » et « Hurt Like Mine ») « maintiennent » l'ensemble dans une cohérence certaine mais sans remporter une adhésion forte au point de sortir de sa torpeur et/ou de son fauteuil, et de saisir la pochette du vinyle en se demandant : « bon sang comment s'intitule ce super morceau »? Ce n'est pas le cas, bien au contraire, du superbe « Everywhere I Go », de loin le meilleur titre du disque, qui joue plus sur la corde sensible. Fini le riff couillu, gras. Place au riff lent, métaphysique. Les notes de guitares, appliquées, étudiées, s'incrustent dans nos failles respectives. On arrête un peu de rire, et c'est d'ailleurs l'impression que donne Dan au chant, qui semble fatigué, ou lassé. Morceau de fin de soirée. Ce n'est pas pour autant la fin de l'album, mais pour moi il s'arrête un peu là, peu convaincu par les morceaux suivants, au point de les effacer de ma mémoire, même si "No Trust" apporte un dernier sursaut. "Hold Me In Your Arms" donne le sentiment d'un essoufflement, et donc qu'il est temps de s'arrêter.