Le frisson de Michel, fils de Jacques
En 1982, le jeune Michael Jackson, 24 ans dont 18 de carrière, se prépare à sortir son deuxième album solo. Après un décevant Off The Wall, le petit génie des Jackson 5, groupe de pop noire multiplatiné, se remet en question à la spartiate (il mange pas, il dort pas, il compose, il s’entraîne à la danse) afin d’atteindre son objectif : devenir le plus grand chanteur pop du monde.
Et pour cela il devra donc sortir le plus grand album du monde. Et c’est avec cette candeur ambitieuse qu’il se lance dans l’entreprise en allant chercher le producteur le plus couru de l’époque, le mythique Quincy Jones, un compositeur de génie, Rod Temperton, un réalisateur culte pour son clip, John Landis et une ribambelle d’invités choisis avec autant de soin. Pour toucher à tous les publics, il fait appel à un ex-Beatles, Paul McCartney, un chanteur de pop insipide, Steve Portocaro de Toto, un guitariste de Heavy Metal, Eddie Van Halen et un acteur de film d’épouvante à la narration sur Thriller, Vincent Price (qui apparaîtra aussi sur un morceau d’Iron Maiden).
Articulé autour du trio monstre, l’album est une pure merveille de production, et les autres morceaux ne servent pas qu’à remplir les vides. Le premier morceau Wanna Be Startin’ Somethin’ évidemment, qui détruit le dancefloor, avec son sample frauduleux de Manu Dibango (qui pour le coup s’est fait max de thunes). The Girl is Mine, le duo de lover au coté ridicule assumé avec le père Paul. La ballade finale, mielleuse à souhait ou P.Y.T. se taillent aussi une place au chaud et n’ont pas à rougir de la concurrence.
Mais on sait bien que ce qui a fait le succès de ce disque est l’audacieux enchaînement de singles placés au centre de l’album. D’abord Thriller, avec sa ligne de basse de ouf et l’ambiance horror kitsch, parfaitement illustré par le clip, un monument du genre. Tout le monde connaît la chorégraphie, les parodies sont nombreuses, les hommages encore plus. Et le morceau défonce tout simplement. Beat It, le piège à rockeurs fonctionne à merveille, le riff accroche, Michael n'est pas content et Van Halen nous livre un de ses meilleurs solos, parce que court. Et enfin, Billie Jean, une des meilleures chansons pop produites depuis longtemps, sans aucune autre prétention que de faire danser en récoltant un max de fric (un but honorable dans le monde de la pop). La chanson avait été accompagnée à sa sortie d’un plus produit inestimable : la première apparition du Moonwalk, qui a grandement contribué à la renommée de la chanson.
De loin, son meilleur album, ses meilleurs morceaux. De la pop, au sens premier, mélangeant toutes sortes d’influences par calcul mais aussi par amour de la musique qui a su faire bouger le popotin d’une sacrée tripotée de gens, même les plus réfractaires à ce genre de musique.
n 2006, Le RIAA (Recording Industry Association of America) et le Guiness Book remettent à Michael Jackson un certificat avec le total des ventes de l’album dans le monde qui s’élève à 104 millions d’exemplaires. Sept singles sur neuf chansons, tous apparus dans le top 10 du Billboard, l’album restera 37 semaines dans le top 200. “The world’s biggest selling album of all time” le restera sûrement à jamais. Au-delà du fait que l’objet disque soit sans cesse remis en cause par le téléchargement, il y aussi la quasi-certitude que l’on retrouvera sûrement très difficilement un disque qui laissera une trace aussi forte dans la musique populaire. Un disque créé par le gamin le plus ambitieux du monde.
Un disque à la fois empreint de culture noire et de culture blanche, jusqu’à les réunir, comme il le fera ensuite pour son corps, dans une seule et même musique. Ce qui était un clivage important dans la musique mainstream jusqu’aux années 70 va disparaître pour laisser place à une pop monochrome, protéiforme, tendant à démocratiser toutes les musiques, mais aussi à réunir le plus d’acheteurs de Los Angeles à Haïti.