S'il y a bien un point où le groupe Cypress Hill est irréprochable, c'est sur leur envie éternelle de se renouveler après chaque album. Là où de nombreux confrères restent cloisonnés dans leur genre sans la moindre innovation, les californiens n'ont cessés de prendre des risques, quitte à se mettre à dos des fans pourtant de longue date. Ce fut le cas avec Stoned Raiders, leur précédent essai sorti en 2001, où le quatuor avait laissé exprimer ses influences heavy metal, clôturant leurs expérimentations rock après le double album concept Skull & Bones. Les ventes furent décevantes et ce 6ème album fut incompris d'une majorité de la scène rap malgré ses nombreux arguments. Toutefois il permis au groupe d'agrandir son aura auprès du public rock, déjà conquis grâce à la symbolique faite de têtes de mort à tout va sur leurs pochettes.

Pourtant depuis leur premier album éponyme en 1991, le groupe s'est construit une véritable réputation de tauliers du rap de la côte Ouest. Emmené de mains de maître par le fameux DJ Muggs, le groupe n'a cessé de mélanger les sonorités allant du funk le plus psychédélique jusqu'au rap le plus dur et distordu possible. Il faut tout de même plus qu'une déception du public pour désarçonner les compères qui rempilent trois ans plus tard pour une nouvelle sortie, placée sous le signe d'un certain retour aux sources.

Les origines hispaniques des MCs B-Real et Sen Dog ainsi que celles de Eric Bobo, le percussionniste, ont toujours portées le groupe et leur ont permis de se différencier du reste de la scène locale. Origines qu'ils ont toujours défendues et arborées fièrement, notamment avec la sortie de rééditions de précédents albums en espagnol. Ce septième album marque une fois de plus cet attachement pour leurs racines avec le retour de sonorités cubaines et de la langue latine. Le rock est cependant toujours présent tout en se faisant discret, supplanté par l'arrivée massive de cordes frottées.

C'est d'ailleurs du côté d'un style venant d'un pays au soleil écrasant qu'il faut chercher la nouvelle influence, marque de ce nouvel album. En s'offrant les services de Tego Calderon sur "Latin thugs", figure de la musique portoricaine, et surtout de Damian Marley, le reggae est mis à l'honneur. A y regarder de plus près, cette fusion des genres entre les protagonistes paraît limite normale vue les ressemblances qui les lient. Sans vouloir trop énumérer de stéréotypes, les membres de Cypress Hill ne se sont jamais cachés d'être portés sur la fumette, de même pour les chanteur de reggae, principale image qui vient à l'esprit quand on pense à ce style musical. De plus la rythmique lente et groovy du son de la Jamaïque colle avec certains sons déjà produits par les californiens. Les ingrédients semblent réunis pour proposer un album de qualité placé sous le signe du mélange des genres, ajouté au savoir-faire des californiens, leur permettant d'ajouter une flèche en plus à leur arc.

Là où ça coince, c'est lorsque le seul tube de l'album est le titre le plus pop et mainstream que le groupe ait fait jusque là. Assez loin de ce retour aux sources présent sur la plupart des titres. "What's your number", seul et unique single, est basé sur un gros sample à peine camouflé de la chanson des Clash, "The guns of Brixton", sur leur album London Calling. La banlieue anglaise étant connue pour ses fortes sonorités reggae, le choix du sample colle plutôt bien à l'idée de cette nouvelle sonorité présente sur l'album. Moins pour le propos qui se contente d'être plus léger. Dans la lignée du titre "Lowrider" présent sur Stoned Raiders, le single montre une volonté marquée de la part de Cypress Hill de s'ouvrir à un public plus large. Lorsque vous en êtes à votre septième album, dont la plupart sont reconnus autant par la critique que le public, cette idée peut être comprise. A condition que les autres titres suivent. Ce qui n'est malheureusement pas le cas pour ces seize morceaux.

La production de l'album souffre d'un syndrome qui touche de nombreux artistes ayant connus cette époque bénie du sampling des années 90. Ayant commencé leur carrière en 1991 avec leur album éponyme, DJ Muggs s'est donné à cœur joie de couper, coller, trafiquer, étendre, tordre des samples à tire larigot pour donner à Cypress une couleur musicale particulière. Jimi Hendrix, James Brown, Black Sabbath, ou encore Curtis Mayfield sont passés dans la boîte à rythme du producteur afin de créer leur propre identité, et leur permettre de se démarquer. Hors les nouvelles réglementations en terme de droits d'auteurs ont bouleversées les manières de faire des producteurs, qui ont du revoir à la baisse leurs procédés. Afin de ne pas dépenser des sommes mirobolantes pour ces fameux samples, il a fallu s'adapter. Les meilleurs s'en sortent sans trop de casse, mais laissant tout de même de la personnalité derrière eux. DJ Muggs fait bien sûr parti de cette catégorie mais n'est pas infaillible pour autant.

Des morceaux tels que "Till death comes" avec sa courte boucle de piano ajoutée à un son de harpe et "Money" avec ses violons répétitifs et son refrain facile, témoignent de cette pauvreté dans la production. Et permettent surtout de se rendre compte que là où Cypress Hill sont les meilleurs, c'est lorsqu'ils posent sur des instrus sombres à donner froid dans le dos. Dans ce registre, le premier titre "Another body drops" remplit bien son rôle. Les deux MCs racontent des histoires de meurtres et de règlements de compte sur des guitares terrifiantes accompagnées d'une très bonne ligne de batterie. Avec ce bruit de flingue dans le refrain, B-Real est effrayant. "One last cigarette" avec son ambiance glauque faite de piano, ajoute de la pression au récit au MC. "Street wars", se vit du début à la fin comme un récit à 100 à l'heure avec ses bruits de cloches, d'orgue, et de chœurs et est l'un des meilleurs titres de l'album. Titre détenu par le superbe morceau éponyme et son adition orgue et guitare ainsi que le flow parfait du MC à la voix nasillarde. On retrouve des titres plus loufoques dans la lignée des "Insane in the brain" ou "Hole in the head", autre marque du quatuor. Ainsi "Busted in the hood" et "Once again" permettent de donner un peu plus de légèreté face à des titres plus sérieux et violents.

Les featurings sont mitigés même si le fait qu'ils ne soient pas nombreux est une bonne nouvelle. Prodigy de Mobb Deep n'a jamais été aussi transparent, on se demande ce que fait Tim Armstrong de Rancid sur "What's your number", tandis que Damian Marley sauve les meubles sur "Ganja Bus" où la prestation de B-Real laisse à désirer tellement elle frôle le stéréotype.

Bien que ce soit leur septième album et qu'ils osent encore une fois innover avec de nouvelles sonorités, il est difficile de trouver quelconque charme à cet essai des californiens. La prestation de B-Real et de Sen Dog est pourtant raisonnable, preuve de l'expérience des deux compères, mais c'est vraiment du côté de la production et de Muggs que cela coince. Bien que l'on sente une envie d'instaurer une ambiance et de faire son possible pour créer des instrus sombres en sortant de ses habitudes, le résultat manque terriblement de perfection et sonne même superficiel. Le groupe perd alors de sa superbe et manque de personnalité alors que le potentiel était au rendez-vous.

Malgré ses défauts, ce septième album de Cypress Hill prévaut plus pour le fond que pour la forme. Témoin d'un groupe qui ose encore innover, quitte à se brûler un peu les ailes. Mais tel est le revers de la médaille lorsque l'on est une référence dans le milieu. Finalement, Cypress Hill n'aurait pas pu choisir meilleur titre pour ce septième album, eux qui depuis plus de dix ans de carrière restent fidèles "jusqu'à la mort" envers le hip-hop.
Stijl
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le 19 juin 2013

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