Arctic Monkeys c’est un groupe qui me tient particulièrement à cœur parce qu’ils m’accompagnent depuis le lycée et que Favorite Worst Nightmare fait partie de mes classiques personnels. Ce qui n’est pas très original, le groupe a un succès commercial et d’estime immense, surtout pour un groupe de rock, tous leurs albums sont arrivés n°1 des charts au Royaume-Unis dès leur lancement.
Pourtant ils ont beaucoup évolué depuis Whatever People Think I Am, That’s What I’m Not. Ils sont passés par le garage rock tendance punk, puis le rock indé à la The Strokes sur Favorite Worst Nightmare, avant d’entamer une période plus pop et rétro avec des sons de synthé et de guitares typés sixties sur Humbug et Suck It And See et de passer par un rock lourd et pesant sur AM. Ce n’est donc pas une surprise que Tranquility Base Hotel + Casino n’ait rien à voir avec ce qu’ils ont fait par le passé. Mais il y a aussi une autre raison à ça.


[ Si vous avez la flemme de lire, la critique existe en vidéo => https://www.youtube.com/watch?v=h7z1rqbpuA8 ]


Depuis le début Alex Turner est le compositeur principal du groupe, c’est donc probablement lui qui donne la direction générale à suivre dans chaque album. Mais ce coup-ci je crois que c’est allé un peu trop loin au point que ça ressemble plus à un album solo que le disque d’un groupe. L’histoire derrière c’est que Alex Turner s’est vu offrir un piano, ce qui a influencé sa manière de composer, et donc évidemment ça écarte du rock. En plus de ça il est pour la première fois co-producteur aux côtés de James Ford, leur producteur historique, par conséquent il prend plus de décisions que d’habitude.
La plupart des morceaux ont été composés chez Alex Turner et les autres membres du groupe sont arrivés après au studio La Frette à Paris. Pour se convaincre de la place que prend Alex Turner sur ce disque il suffit d’aller voir les fiches Genius des morceaux. On constate que lui et James Ford ont mis leurs mains un peu partout, que ça soit évidemment les synthés mais aussi les basses, les guitares et même la batterie sur Batphone.
Du coup ça me gêne un peu que ce disque sorte sous le nom Arctic Monkeys, ça aurait été préférable que Alex Turner le face en solo à mon avis. Par exemple Matt Helders est sous exploité à la batterie, il nous avait habitué à fournir des parties intéressantes, ici il se contente de tenir la chanson. Ce qui est logique d’un côté puisque ce sont des chansons à texte. Alex Turner a cité comme influence Leonard Cohen et ça se ressent, le piano/voix est la base de chaque morceau, l’élément central. Ce qui ne laisse pas beaucoup de place pour les autres instruments et crée une certaine homogénéité entre les différentes pistes.


Bon ok mettons tout ça de côté, est-ce que c’est bien ? Et ba ... oui.


Tranquility Base Hotel + Casino a une vibe très vintage et musique de film, à l’image de ce que fait Alex Turner à côté avec The Last Shadow Puppets. En l’occurrence ici ce serait un film rétro futuriste puisque Tranquility Base fait référence à ce qu’on appel en français, « la mer de tranquillité », c’est-à-dire l’endroit où s’est posé la mission Apollo sur la Lune. Ce concept-album nous place dans un complexe hôtelier lunaire pour aborder des sujets tels que les réseaux sociaux, les nouvelles technologies, la politique mais aussi une réflexion plus personnelle sur la célébrité et l’ascension en tant que star.
Ainsi Alex Turner se projette dans le futur pour réfléchir sur le passé, qui est donc notre présent. En tout cas si il y a bien une chose que cet album réussi c’est à créer un univers, une ambiance presque palpable. En l’écoutant j’arrive à me représenter l’hôtel : un lieu calme où on murmure pour se parler et commander un gin, de la moquette, des vitres tintées, tout le monde en costume. Pour amener ça à la vie on a un mélange d’orgues, de synthés et de basses typés années 60 qui font penser à Pet Sounds des Beach Boys, et d’accords au piano jazz qui donnent le côté éthéré et spatial, un peu comme dans Life On Mars de Bowie.


J’imagine que beaucoup de personnes vont penser que c’est long et chiant. Et bien si vous pensez ça laissez lui du temps, c’est clairement pas un album qui essaie d’en faire des caisses pour en mettre pleins les yeux. Pour se rendre compte de la méticulosité du travail et devenir familier avec l’univers il faut plusieurs écoutes. Enfin personnellement après la première écoute je l’ai laissé un peu reposer et j’ai rapidement eut envie de m’y replonger. Après si vous êtes réfractaire au style c’est autre chose mais il ne faut pas avoir d’oreille pour ne pas reconnaître que c’est un disque de qualité et sincère. Ils auraient très bien pu refaire un AM avec des tubes pour remplir les stades et passer à la radio mais le choix a ici était fait de proposer quelque chose qui n’a rien à voir. D’ailleurs aucun single n’a été dévoilé avant l’album, preuve qu’il doit être considéré comme un tout et que leur but n’est pas de placer des chansons dans les charts mais de juste faire la musique qu’ils ont envie. Et ça quelque soit le résultat c’est déjà respectable.


Le problème de cette approche concept c’est que les pistes sont très proches l’une de l’autre, trop proches même pourrait-on dire. Du coup je comprends qu’on puisse décrocher aux bouts de quelques morceaux par manque de diversité et d’énergie pour nous tenir en haleine. Mais justement en connaissant mieux l’album on apprend à reconnaître les subtiles variations.


Du côté des textes on retrouve le Alex Turner qu’on connaissait sur AM avec sa voix dans les mediums et son accent à couper au couteau, les mots s’enfilent comme des perles les uns à la suite des autres sans aucune difficulté. Les textes recèlent de formules originales et savoureuses comme : « My virtual reality mask is stuck on ‘Parliament Brawl’/Emergency battery pack, just in time for my weekly chat/With God on video call » et aussi de références cinématographiques, littéraires et musicales. Citons pêle-mêle 2001 L’Odyssée De L’Espace, 1984, les Strokes, Amusing Ourselves To Death de Neil Postman, Leonard Cohen ou encore Blade Runner.
Comme dit au début les thèmes ici tournent autour d’une description désabusé du monde actuel : les politiques et les journaux qu’on ne peux pas croire, les limites des réseaux sociaux et d’internet, etc. La critique n’est jamais faite sur un ton moralisateur mais passe par le narratif de l’hôtel sur la Lune, de l’ironie et des sentiments.


Bref en conclusion je vous encourage à aller écouter ce très bel album. Soit, ça n’a rien à voir avec du Arctic Monkeys et c’est presque une erreur de le sortir sous ce nom mais la qualité est présente. Par contre ce n’est pas un album qui se laisse appréhender tout de suite, il faut lui laisser du temps et se pencher sur les paroles, mais ça en vaut la peine. Je n’arrive pas à me décider à savoir si il est seulement bon ou très bon, pour ça il va falloir encore un peu de temps histoire de voir si la lassitude s’installe ... ou pas !

SixSurDix
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le 21 mai 2018

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